Élargir le principe de précaution | Prévention des blessures

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Prévention des blessures et principe de précaution

« Quant aux maladies, prenez l’habitude de deux choses : aider, ou du moins ne pas nuire » (Hippocrate, Les épidémies)

« Lorsqu’une activité soulève des menaces d’atteinte à la santé humaine…. …, des mesures de précaution devraient être prises même si certaines relations de cause à effet ne sont pas entièrement établies scientifiquement  » (conférence Wingspread, 1998)

Un enseignement fondamental de la médecine clinique est primum non nocere – d’abord ne pas nuire – c’est-à-dire que lorsque les médecins sont confrontés à des choix entre des avantages incertains et des dommages possibles, ils doivent pécher par excès de sécurité.

En santé publique environnementale, un édit similaire a vu le jour. Le « principe de précaution », popularisé il y a 10 ans en matière de sécurité environnementale1, est aujourd’hui de plus en plus accepté. Il affirme que lorsqu’un dommage est suspecté et que les preuves scientifiques ne sont pas concluantes, la ligne de conduite prescrite est l’action de précaution. Il est censé s’appliquer lorsque le dommage est « grave, irréversible et cumulatif ». Le principe de précaution est le revers de la médaille de l' »évaluation des risques », qui exige des défenseurs de la sécurité qu’ils fournissent des preuves convaincantes du préjudice. Par voie de conséquence, s’ils n’y parviennent pas, les produits ou les pratiques éventuellement dangereux resteront en place.

Un résumé populaire du principe est né d’une conférence de l’ONU et se trouve dans la déclaration de Rio de 1992 : « Les nations doivent utiliser le principe de précaution pour protéger l’environnement. En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’incertitude scientifique ne doit pas être utilisée pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement ».1

Le principe ne s’appliquait initialement qu’aux substances toxiques, mais il s’est depuis élargi à d’autres risques environnementaux. Il m’a semblé qu’il n’y a aucune raison pour qu’il ne soit pas étendu davantage pour inclure une grande partie de la prévention des blessures. Parce que je n’aime pas les clichés comme « changement de paradigme », dans ce cas, je propose simplement que le paradigme soit élargi.

Le principe de précaution m’a été rappelé lorsque j’ai réfléchi à plusieurs des articles figurant dans ce numéro. Mes recherches m’ont conduit à un certain nombre de publications pertinentes2-5 et à de nombreux sites web intéressants (par exemple, des informations sur la biotechnologie6 et Rachel’s Environment and Health News7). Pourquoi, me suis-je demandé, la prévention des blessures physiques infligées aux êtres humains ne serait-elle pas considérée de la même manière que les dommages que les substances toxiques peuvent causer à l’environnement ? L’interdiction des plastifiants à base de phtalates dans les jouets a été un pas dans cette direction et il est intéressant de noter que l’Agence danoise pour l’environnement a pu justifier cette interdiction en se fondant sur le principe de précaution, tandis que la Commission de sécurité des produits de consommation a fait de même, mais « seulement après une évaluation quantitative coûteuse et longue ».4

Dans l’un des articles que j’ai trouvés, l’auteur écrivait : « Les défenseurs de la santé publique dans le monde entier ont de plus en plus invoqué le principe de précaution comme base pour des actions préventives ».3 (Jusqu’ici tout va bien.) Il poursuivait : « Cela a été particulièrement vrai pour les questions d’environnement et de sécurité alimentaire, dans lesquelles le … principe est passé d’un cri de ralliement pour les défenseurs de l’environnement à un principe juridique incorporé dans les traités internationaux ». (Mieux encore, car il fait désormais partie du droit en Allemagne et en Suède et s’applique à de nombreux traités internationaux). La mauvaise nouvelle est que le principe de précaution reste presque entièrement limité à l' »environnement ».

Donc, bien que le principe de précaution soit visionnaire, son application étroite est à courte vue. Relisez-le et demandez-vous pourquoi les mêmes arguments fondamentaux ne devraient pas s’appliquer au-delà de ce que l’on entend conventionnellement par « l’environnement ». La sécurité des piétons et des cyclistes en est un excellent exemple, tout comme la sécurité des occupants de véhicules qui se retournent (Rivara et al, p 76). De même, la sécurité à la maison (Driscoll et al, p 15 ; Lipscomb et al, p 20) et sur le lieu de travail (Loomis et al, p 9) illustrent bien le propos.

Or considérez l’utilisation des téléphones portables en voiture, où il y a encore un débat sur ce que les preuves nous disent.8-10 En vertu du principe de précaution, le bénéfice du doute sur leur nocivité inciterait les décideurs à promulguer des lois pour empêcher leur utilisation (comme de nombreux pays l’ont maintenant fait). De même, bien qu’il y ait moins de désaccord sur leur nocivité, nous ne continuerions pas à autoriser la mise sur le marché de vêtements pour enfants avec des cordons de serrage ou de trotteurs pour bébés. Il n’y aurait pas de délais interminables pendant que les dangers sont prouvés avec une certitude de 95 %. On ne se demanderait pas combien de blessures ou de décès il doit y avoir avant que les organismes de réglementation ne soient obligés d’agir. Il n’y aurait pas non plus de considération excessive accordée aux conséquences économiques pour le fabricant ou le détaillant du retrait d’un produit nocif du marché.

Dans chacun de ces exemples, si le principe de précaution était appliqué, il reviendrait au fabricant d’assurer à l’organisme de réglementation que le produit est inoffensif. C’est essentiellement la norme appliquée aujourd’hui dans la plupart des pays lorsqu’une entreprise pharmaceutique souhaite commercialiser un nouveau médicament. Pourquoi d’autres produits devraient-ils être traités différemment ?

Dans la plupart des pays, les organismes de réglementation ont à la fois le pouvoir et la responsabilité de mettre ce principe en pratique. Il s’ensuit une lourde obligation d’exercer correctement ces pouvoirs. Tout manquement à cette obligation peut entraîner de graves conséquences juridiques. Lorsque, par exemple, la Croix-Rouge canadienne n’a pas procédé au dépistage du VIH et de l’hépatite C chez les donneurs de sang alors que les moyens de le faire étaient disponibles, des poursuites civiles de l’ordre de centaines de millions de dollars ont été engagées et des accusations criminelles ont suivi. Le même raisonnement pourrait s’appliquer à tout cas où un préjudice peut être raisonnablement anticipé et donc évité.

L’importance d’étendre le principe à de nombreuses autres questions de sécurité a été renforcée lorsque j’ai lu deux articles récents sur les facteurs de risque et la charge de morbidité. Ces articles m’ont amené à me demander (une fois de plus) pourquoi les blessures n’apparaissent toujours pas plus en évidence sur les écrans radar de la plupart des décideurs politiques. Le premier, rédigé par Ezzati et al, visait à « estimer les contributions de certains facteurs de risque majeurs à la charge de morbidité mondiale et régionale dans un cadre unifié ».11 Bien que le terme « maladie » soit utilisé, la déclaration de base fait référence à l’analyse des risques comme étant « la clé de la prévention des maladies et des blessures » (les italiques sont de moi). Pourtant, d’une manière ou d’une autre, les auteurs ont perdu de vue les blessures et se sont concentrés sur les maladies, même si l’un des 26 facteurs de risque sélectionnés était l’alcool.

Commentant ce rapport, Yach a noté que « le mystère consiste à comprendre pourquoi la communauté de la santé publique continue à accorder une si faible priorité aux mesures préventives efficaces, en particulier pour les maladies chroniques. « 12 Je ne suis pas d’accord : le véritable mystère est de savoir comment on peut commenter ce sujet et en dire si peu sur les blessures ? À la lumière de ce que l’on sait de leur position dans les tristes listes des principaux tueurs, comment cela peut-il être possible ? Plus remarquablement, comment cela peut-il provenir d’une personne associée à l’Organisation mondiale de la santé si peu de temps après la publication de son rapport superbement documenté sur la violence?13

En quête d’équilibre sur cette question indubitablement controversée, sur laquelle j’encourage le débat de nos lecteurs, il y a d’autres points de vue à considérer. Outre la position traditionnelle de ceux qui privilégient les preuves de type analyse des risques, il y a les questions épidémiologiques. Cette revue n’hésite pas à favoriser les articles fondés sur des données épidémiologiques. Mais il est juste de se demander, comme le fait Appell, si le principe de précaution est compatible avec la science qui, après tout, ne peut jamais prouver un négatif.5 Tukker a observé que « les parties des deux côtés caricaturent simplement la position de l’autre : la précaution conduirait à un arrêt de toute innovation… et l’évaluation des risques néglige l’ignorance ».2 Il affirme cependant que « l’évaluation des risques et la précaution ne s’excluent pas mutuellement ». Mais il reconnaît que l’épidémiologie a ses limites dans le processus de conciliation pour des raisons pragmatiques et fondamentales.

Le pragmatique est la difficulté de produire des preuves de cause à effet concluantes. La fondamentale est la nature largement rétrospective de nombreuses études épidémiologiques alors que le problème de la prévention nécessite de regarder vers l’avant. Il est donc difficile pour l’épidémiologie « de juger de la nécessité d’une action préventive ». (Bien que je ne sois pas d’accord, le point mérite d’être discuté.) Et Goldstein affirme « Au fond, le principe de précaution contient beaucoup des attributs d’une bonne pratique de santé publique, y compris un accent sur la prévention primaire et une reconnaissance que les conséquences imprévues et non désirées des activités humaines ne sont pas inhabituelles ».3

En dernière analyse, la perception des blessures par les décideurs politiques pourrait bien être modifiée si le principe de précaution était élargi comme j’insiste pour qu’il le soit. Cependant, le fardeau repose aussi lourdement sur les chercheurs que sur les décideurs politiques. Le président de l’American Association for the Advancement of Science a mis les scientifiques au défi de « définir un nouveau contrat social » et de s’engager à « consacrer leurs énergies et leurs talents aux problèmes les plus urgents du moment, proportionnellement à leur importance, en échange d’un financement public ».5 Nevertheless, the buck has to stop somewhere and as Yach concludes, « Putting prevention first requires political courage . . . ».12

Injury prevention and the precautionary principle

  1. United Nations Conference on Environment and Development. Rio declaration on environment and development 31 ILM 874. New York: United Nations Press, 1992.

  2. Tukker A. The precautionary principle and epidemiology. J Epidemiol Community Health2002;56:883–4.

  3. Goldstein BD. The precautionary principle also applies to public health actions. Am J Public Health2001;91:1358–62.

  4. Kriebel D, Tickner J. Reenergizing public health through precaution. Am J Public Health2001;91:1351–4.

  5. Appell D. The new uncertainty principle. Scientific American 2001 (January): 18–19.

  6. Rachel’s Environment and Health News. Available at: http://www.rachel.org/.

  7. Redelmeier DA, Tibshirani RJ. Association between cellular-telephone calls and motor vehicle collisions. N Engl J Med1997;336:453–8.

  8. Anonymous. Driven to distraction: cellular phones and traffic accidents . Can Med Assoc J2001;164:1557.

  9. Therien EJ. The accidental cell phone user . Can Med Assoc J2001;165:397.

  10. Ezzati M, Lopez AD, Vander Hoorn S, et al. Selected major risk factors and global and regional burden of disease. Lancet 2002;360:1347–60.

  11. Yach D. Unleashing the power of prevention to achieve global health gains. Lancet2002;360:1343–4.

  12. Krug EG, Dahlberg LL, Mercy JA, et al, eds. World report on violence and health. Geneva: WHO, 2002.