Concurrence

Concurrence parfaite

Théorie des prix concurrentiels

Concepts alternatifs

Preuves empiriques de la concurrence

Politiques publiques

BIBLIOGRAPHIE

Autres ouvrages cités

La concurrence peut être l’épice de la vie, mais en économie, elle a été plus presque le plat principal. La concurrence a été une force majeure dans l’organisation de la production et la détermination des prix et des revenus : la théorie économique a accordé une importance proportionnelle à ce concept.

La concurrence entre dans tous les grands domaines de la vie de l’homme et connote généralement la rivalité entre deux ou plusieurs hommes ou groupes pour un prix donné. La compétition est souvent une fin en soi. Les événements sportifs en sont des illustrations claires : nous devrions être choqués si deux équipes annulaient l’événement ou arrangeaient une égalité et se partageaient le prix. En effet, le prix est un objectif mineur dans un véritable événement sportif.

Dans la vie économique, la concurrence n’est pas un but : c’est un moyen d’organiser l’activité économique pour atteindre un objectif. Le rôle économique de la concurrence est de discipliner les différents participants à la vie économique pour qu’ils fournissent leurs biens et services de manière habile et bon marché.

Concurrence parfaite

Concurrence de marché

Lorsqu’on se demande (comme Cournot fut le premier à le faire de manière précise en 1838) si la concurrence de trois marchands servira mieux que celle de deux, ou pourquoi deux (ou trois) ne se combinent pas en un monopole, les réponses s’avèrent insaisissables. Mais on peut partiellement éluder ces questions en posant un degré de concurrence très extrême, que l’économiste appelle la concurrence parfaite.

Une condition principale de la concurrence parfaite est que la plus grande entreprise d’une industrie réalise une fraction insignifiante des ventes (ou des achats) de l’industrie et donc qu’il y ait de nombreuses entreprises dans l’industrie. Aucun nombre défini n’a été trouvé pour la part maximale d’une seule entreprise compatible avec la concurrence ; vraisemblablement, la part admissible peut être d’autant plus grande que la demande de l’industrie est élastique et que les conditions d’entrée de nouvelles entreprises sont faciles.

Ces nombreuses entreprises, dont aucune ou quelques-unes ne représentent une part appréciable de la production de l’industrie, sont supposées agir indépendamment. Cela peut être considéré comme une deuxième condition de la concurrence parfaite, ou comme un corollaire inévitable des grands nombres en l’absence de contrôles légaux sur l’industrie. Car c’est un fait qu’il existe des difficultés insurmontables pour organiser une combinaison efficace de nombreuses personnes lorsqu’il est rentable pour chacune d’entre elles de s’écarter secrètement de l’accord, comme c’est généralement le cas dans la vie économique.

Ces grands nombres suggèrent ce qui est vrai : la concurrence économique (parfaite) est impersonnelle. Dans la course économique, il y a 1 000 ou 100 000 coureurs, et chacun reçoit un prix proportionnel à ses efforts. La fortune d’une entreprise est indépendante de ce qui arrive à une autre entreprise : un agriculteur ne profite pas de la destruction de la récolte de son voisin. L’essence de la concurrence parfaite n’est donc pas une forte rivalité, mais plutôt la dispersion totale du pouvoir d’influencer le comportement du marché. Le pouvoir, par exemple, de restreindre les quantités vendues et d’augmenter les prix est effectivement annihilé lorsqu’il est réparti entre mille hommes, tout comme un gallon d’eau est effectivement annihilé s’il est réparti sur mille acres.

Une troisième condition de la concurrence parfaite est la connaissance complète des offres d’achat et de vente par les participants au marché. Cette condition sert exactement l’objectif inverse de la condition précédente. L’hypothèse selon laquelle les commerçants agissent de manière indépendante sert à les maintenir séparés et, par conséquent, nombreux ; l’hypothèse selon laquelle chaque vendeur sait ce que les divers acheteurs paieront, et vice versa, est nécessaire pour maintenir les parties ensemble – sur le même marché. Si le vendeur S et l’acheteur B ne traitaient qu’entre eux en ignorant tous les autres commerçants, et de même pour chaque autre paire d’acheteurs et de vendeurs, chaque transaction représenterait un échange sous monopole bilatéral.

Ces conditions de concurrence parfaite suffisent à garantir qu’un prix unique régnera sur un marché (en fait, la connaissance parfaite suffit à cet effet) et que ce prix n’est affecté que de façon négligeable par les actions d’un ou de quelques acheteurs ou vendeurs. (On suppose parfois en plus que le produit de tous les vendeurs est homogène, mais cela peut aussi être considéré comme faisant partie de la définition du marché ou de l’industrie). La définition de la concurrence parfaite est donc parfois exprimée sous la forme équivalente : la courbe de demande à laquelle fait face chaque vendeur est infiniment élastique ; et la courbe d’offre à laquelle fait face chaque acheteur est infiniment élastique. (Cette définition s’applique également à l’entreprise individuelle, qui peut en conséquence être concurrentielle même si le marché sur lequel elle commerce ne l’est pas.)

À ces conditions de base de la concurrence parfaite – nombre de commerçants de chaque côté du marché, indépendance d’action et connaissance parfaite – il faut ajouter la divisibilité de la marchandise ou du service échangé. Si les unités sont grandes, il est possible que des discontinuités mineures apparaissent et permettent à certains individus d’exercer un petit pouvoir sur le marché. Ce point est suffisamment mineur pour être laissé aux références (Edgeworth 1953, p. 46 ; Stigler 1957, p. 8-9).

Ces conditions de concurrence parfaite concernent un marché unique, qu’il s’agisse de chaussures, d’obligations ou de services de charpentier. Pour ce qui est de la présence ou de l’absence de pouvoir monopolistique, il n’est pas nécessaire d’examiner un autre marché. Pour cette raison, ces conditions se rapportent à ce que l’on peut appeler la concurrence sur le marché.

Il est cependant traditionnel d’élargir les conditions de la concurrence, afin qu’elles assurent une allocation optimale des ressources, en précisant la nature du mouvement des ressources entre les marchés et les industries. Ce concept élargi, que l’on peut appeler la concurrence industrielle, est notre prochain sujet.

Concurrence industrielle

Pour qu’une ressource productive soit utilisée efficacement, elle doit être également productive dans toutes ses utilisations – il est clair que si son produit (marginal) est moindre dans une utilisation que dans une autre, la production n’est pas maximisée. Par conséquent, deux conditions supplémentaires ont communément été intégrées à la concurrence parfaite : les ressources sont mobiles entre les utilisations ; et leurs propriétaires sont informés des rendements dans ces diverses utilisations.

Une vaste galaxie de barrières privées et publiques à la mobilité des ressources a été érigée en divers temps et lieux : boycotts, certificats de convenance et de nécessité, licences de brevet, lois sur les règlements, franchises, licences d’occupation. Toutes ces barrières sont effectivement ou potentiellement incompatibles avec la concurrence. Mais il n’est pas nécessaire pour la concurrence que le mouvement des ressources soit libre : le recyclage d’un travailleur ou le transport d’un outil peuvent être coûteux sans interférer avec la concurrence. Nous devons élargir notre condition précédente de pleine information pour inclure la connaissance des rendements des ressources dans des emplois alternatifs. D’un autre point de vue, nous pouvons dire que l’ignorance est une barrière au mouvement profitable des ressources.

Si ces conditions sont remplies, le rendement maximal possible (mesuré par la valeur) sera obtenu d’une ressource productive. Si cela est vrai pour chaque ressource, la production de l’économie est maximale. Ce célèbre théorème (appelé « sur la satisfaction maximale » par Walras et Marshall) est soumis à une réserve, comme toutes les propositions intéressantes : le produit marginal privé d’une ressource productive (le montant que reçoit son propriétaire et donc ce qui régit son allocation) doit être égal au produit marginal social (produit marginal privé plus ou moins les effets sur les autres). Bien entendu, la valeur maximale produite dépend de la répartition des revenus, qui affecte les demandes de biens et donc leurs prix.

Temps et concurrence. Ce que nous avons appelé la concurrence industrielle – concurrence incluant la mobilité des ressources – a évidemment une dimension temporelle implicite. Il faut du temps pour déplacer les ressources hors des champs non rentables, surtout si les ressources sont spécialisées et durables, de sorte que seul le désenchevêtrement des fonds d’amortissement permet de retirer les ressources. Il faut également du temps pour construire une nouvelle usine ou un nouveau magasin lorsqu’on souhaite entrer dans une industrie. On peut faire des déclarations comparables sur la mobilité géographique et professionnelle de la main-d’œuvre. De même, le temps est un facteur d’exhaustivité des connaissances. Il faut du temps pour apprendre quelles industries ou quels emplois sont les plus rémunérateurs, ou pour apprendre les prix proposés par divers vendeurs, ou la qualité du service et du produit ; et la connaissance d’une personne est d’autant plus complète et fiable que la recherche d’informations est approfondie et que l’expérience sur laquelle elle se fonde est grande.

Le capital incorporé dans des équipements spécialisés et durables ne sera pas transféré vers d’autres utilisations à court terme, sauf en cas d’écarts de prix extrêmes, même si, à long terme, le moindre écart de rendement peut suffire à déplacer les fonds de capital. Inversement, ce n’est qu’en cas d’incitations extrêmes que de nouveaux établissements seront créés pratiquement du jour au lendemain, comme nous l’observons parfois en temps de guerre.

Ce fait qu’il est plus coûteux de faire les choses très rapidement qu’à un rythme plus lent ne nuance pas la proposition selon laquelle les ressources auront tendance à être placées là où elles rapportent le plus, mais on nous rappelle la réserve implicite : il faut tenir compte du coût du déplacement des ressources.

Les différences de rendement d’une ressource dans diverses utilisations peuvent être très importantes à court terme, mais elles diminueront à long terme jusqu’à un niveau minimum fixé par le coût de la méthode la plus efficace pour déplacer les ressources. Il existe dans la littérature économique une croyance implicite selon laquelle ces coûts minimaux de déplacement des ressources sont très faibles par rapport à leurs rendements, de sorte qu’il y a peu d’imprécision à les négliger entièrement. Cela peut être vrai mais n’a pas été démontré. Cette croyance a néanmoins conduit des économistes (par exemple, J. B. Clark) à postuler une mobilité instantanée et sans coût comme le cas pur de la concurrence industrielle parfaite. Il semble préférable de dire que les différentiels minimaux de rendement des ressources ne sont atteints qu’à long terme. La concurrence sur le marché n’est pas si intimement liée au temps. L’information que l’on possède sur les offres et les demandes de prix s’améliore quelque peu à mesure que l’on fait des recherches plus approfondies sur le marché – ce qui est en soi un processus qui prend du temps – mais l’évolution des conditions de l’offre et de la demande entraîne des changements de prix qui rendent l’ancienne information obsolète.

La théorie des prix concurrentiels

La structure concurrentielle de l’industrie conduit à l’établissement de prix concurrentiels. Les prix concurrentiels sont caractérisés par deux propriétés principales. La propriété de compensation des marchés est celle de distribuer efficacement les approvisionnements existants ; la propriété d’égalisation des rendements des ressources est celle de diriger efficacement la production.

La compensation des marchés

Un prix concurrentiel est un prix qui n’est pas perceptiblement influencé par un acheteur ou un vendeur. Lorsque nous disons que ces prix sont fixés par « l’offre et la demande », nous voulons dire que l’ensemble de tous les acheteurs et vendeurs détermine le prix.

Puisque chaque acheteur peut acheter tout ce qu’il souhaite du bien ou du service au prix du marché, il n’y a pas de file d’attente ou de demande non satisfaite, compte tenu du prix. Puisque chaque vendeur peut vendre tout ce qu’il souhaite à ce prix de marché, il n’y a pas de stocks indisponibles, autres que les stocks volontairement détenus pour les périodes futures. Le prix concurrentiel, donc, libère le marché – il égalise les quantités offertes par les vendeurs et recherchées par les acheteurs.

Chaque fois que nous constatons une file d’attente persistante parmi les acheteurs, nous savons que le prix est maintenu en dessous du niveau qui libère le marché, que nous appelons naturellement le prix d’équilibre. Par exemple, lorsque les logements ne sont pas disponibles en raison du contrôle des loyers, nous savons que les loyers sont inférieurs au niveau d’équilibre. Chaque fois que nous constatons que les stocks détenus par les vendeurs sont supérieurs aux besoins, nous savons que le prix est supérieur au niveau d’équilibre. Les vastes stocks de produits agricoles détenus par le gouvernement américain sont la preuve que les prix de ces produits (plus précisément, les montants que le gouvernement prêtera sur ces produits) sont supérieurs au niveau d’équilibre.

L’importance des prix qui libèrent les marchés est qu’ils mettent les biens et les services dans les mains des personnes qui les souhaitent le plus urgemment. Si un prix est maintenu trop bas, certains acheteurs qui ont fixé une valeur inférieure à la marchandise l’obtiendront tandis que d’autres dans la file d’attente qui ont fixé une valeur supérieure n’en obtiendront aucune. Si le prix est fixé trop haut, des biens que les acheteurs seraient heureux d’acheter à un prix inférieur restent invendus même si (si un prix minimum est imposé à une industrie concurrentielle) les vendeurs préféreraient vendre à ce prix inférieur.

L’égalisation des rendements

Il fait partie de la définition de la concurrence industrielle que chaque ressource dans une industrie gagne autant qu’elle gagnerait dans d’autres industries, mais pas plus. L’intérêt personnel des propriétaires de ressources productives (y compris, bien sûr, cette ressource la plus importante qu’est le travailleur) les conduit à appliquer leurs ressources là où elles rapportent le plus et donc à entrer dans des domaines exceptionnellement attractifs et à abandonner les domaines peu attractifs.

On peut cependant montrer que cette égalisation des rendements implique que les prix des biens et services soient égaux à leurs coûts (marginaux) de production. Le coût d’un service productif pour une industrie est le montant qu’il faut payer pour l’attirer loin d’autres utilisations – ses alternatives abandonnées. (Ce concept de coût le plus élémentaire est l’essence de la théorie des coûts de substitution ou d’opportunité). Si le montant que la ressource productive gagne dans une industrie est supérieur à ce coût, il est clair que d’autres unités de la ressource actuellement en dehors de l’industrie pourraient gagner plus si elles y entraient. Inversement, si la ressource productive gagne moins que son coût ou que le produit alternatif, elle quittera l’industrie. Par conséquent, si le prix est supérieur au coût, les ressources afflueront dans l’industrie et feront baisser le prix (et peut-être augmenter le coût en augmentant les prix des ressources) ; si le prix est inférieur au coût, les ressources sortiront et feront augmenter le prix (et peut-être réduire le coût).

L’égalité des produits marginaux d’une ressource dans toutes ses utilisations est la condition d’une production efficace. On lui a souvent substitué l’égalité des produits moyens, avec une perte regrettable de logique : songeons au gaspillage catastrophique (de capital) qu’il y aurait à avoir une production égale par travailleur dans deux industries, alors que les biens d’équipement par travailleur sont dix fois plus importants dans une industrie que dans l’autre. Mais si le produit marginal d’une ressource est égal dans ses diverses utilisations, il s’ensuit que le coût marginal doit être égal au prix. Les ressources nécessaires pour produire une unité supplémentaire du produit A pourraient produire une valeur égale de B, de sorte que le coût marginal de A – qui est l’alternative abandonnée de produire B – est égal à la valeur de A qu’il produit. Le coût marginal, formellement défini comme un incrément de coût divisé par l’incrément de produit associé à l’incrément de coût, et non le coût moyen plus facilement mesuré (coût total divisé par la production), est le critère fondamental de l’économiste pour déterminer le prix concurrentiel – et le prix optimal.

Analyse de la période de Marshall

Les utilisations alternatives ouvertes à une ressource dépendent du temps disponible pour son redéploiement (ou plus fondamentalement, du montant que l’on est prêt à dépenser pour son déplacement). Ce principe, joint à une observation empirique selon laquelle on peut modifier le taux d’exploitation d’une usine beaucoup plus rapidement qu’on ne peut construire une nouvelle usine ou user une usine existante, constitue la base de la théorie standard (marshallienne) des prix concurrentiels à long terme et à court terme (Marshall 1890).

A court terme, défini comme la période au cours de laquelle on ne peut pas modifier sensiblement le nombre d’usines (unités physiques de production), la seule méthode pour faire varier la production consiste à faire travailler une usine donnée plus ou moins intensivement. Les facteurs de production dits variables (travail, matériaux, carburant) sont les seules ressources ayant des utilisations alternatives efficaces au cours de cette période et donc les seuls services dont les rendements entrent dans les coûts marginaux. Les rendements des facteurs productifs incorporés dans l’usine sont appelés quasi-rentes. Tant que les quasi-rentes sont supérieures à zéro, il sera plus rentable d’exploiter une usine que de la fermer.

Le long terme est défini comme la période au cours de laquelle l’entrepreneur peut prendre toute décision souhaitée – y compris la décision de quitter une industrie et d’en entrer une autre. Au cours de cette période, toutes les ressources sont variables en quantité et, par conséquent, les rendements de tous les facteurs entrent dans le coût marginal.

Le dispositif marshallien permet des simplifications très utiles dans la théorie des prix, mais seulement si son hypothèse empirique sous-jacente est remplie : les ajustements à long terme de l’entreprise sont d’une ampleur négligeable à court terme (et peuvent donc être négligés), et les ajustements à court terme n’affectent pas sensiblement les coûts à long terme. Lorsque ces conditions ne sont pas remplies (elles échouent, par exemple, si le licenciement de travailleurs au cours de cette période entraîne une hausse des taux de salaire au cours de la période suivante), l’analyse complète du court terme nécessitera toujours une analyse explicite des répercussions à long terme des décisions de court terme.

Concepts alternatifs

L’austérité et l’abstraction du concept de concurrence parfaite ont conduit de nombreux économistes à rechercher un concept plus « réaliste ». Cette recherche a été renforcée par la nécessité d’un concept de concurrence utilisable dans l’application des lois antitrust américaines. Divers concepts ont en conséquence été proposés, mais parce qu’ils ont été délibérément inventés pour s’adapter aux circonstances infiniment variées d’une vaste économie, ils n’ont pas la clarté analytique de la concurrence parfaite.

Concurrence praticable

Le plus populaire de ces concepts variantes est celui de J. M. Clark, qu’il a baptisé concurrence praticable (1940). La philosophie de ce concept est assez claire : les industries réelles compteront rarement des milliers de firmes indépendantes, et jamais les entrepreneurs n’auront une connaissance complète. Il n’est pas utile de caractériser toutes ces industries comme étant imparfaitement concurrentielles, car certaines seront des quasi-monopoles et d’autres auront des prix, des productions et des taux de progrès qui ne s’écartent que de façon mineure de ce que connaîtraient des industries parfaitement concurrentielles. En particulier, de nombreuses industries ne s’écartent pas suffisamment de la concurrence parfaite (qui est, bien sûr, inatteignable) pour créer un quelconque besoin d’actions antitrust ou de réglementation publique.

La concurrence viable a été un concept très populaire depuis sa formalisation en 1940, mais sa sérieuse ambiguïté n’a pas encore été réduite. Le degré de compétitivité que doit avoir une industrie (selon des critères observables que nous aborderons plus loin) pour être workably competitive n’a jamais été tranché. En effet, les critères (prix, service, innovation de produit, taux de rendement) qui méritent le plus de poids dans toute application du concept n’ont pas fait l’objet d’un accord. Deux personnes compétentes qui étudient une industrie particulière peuvent être en désaccord sur sa compétitivité réalisable, et il n’existe aucune base analytique pour éliminer ce désaccord.

Concurrence monopolistique

L’autre concept phare, la concurrence monopolistique, a été formulé par E. H. Chamberlin (1933) et vise un objectif différent. Chamberlin a mis l’accent sur la diversité des produits des entreprises qui sont normalement considérées comme membres d’une même industrie : ils diffèrent par des détails de qualité, de réputation, de commodité de localisation, par la religion de leur producteur, et par une centaine d’autres détails qui peuvent influencer leur désirabilité pour divers acheteurs. Il a également souligné la substituabilité des produits fabriqués par ce qui est considéré comme des industries différentes : on peut utiliser de l’aluminium, de l’acier ou du bois pour construire une chaise, et afficher ostensiblement sa richesse avec des bijoux, des domestiques ou des voyages à l’étranger. Chaque entreprise, dans cette optique, possède certains éléments d’unicité (pouvoir de monopole) et pourtant de nombreux rivaux, et c’est ce mélange qui donne son nom au concept. La théorie de la concurrence monopolistique a conduit à un examen beaucoup plus approfondi des problèmes de définition des marchandises et des industries. Elle n’a pas été jugée utile dans l’analyse de problèmes économiques concrets.

Equilibre concurrentiel

L’absence de coordination consciente du comportement des individus sur un marché concurrentiel a conduit de nombreux auteurs à affirmer l’impossibilité de tout équilibre stable. Certains ont nié que tout ordre soit observable : la littérature sur les cartels continentaux utilise généralement le mot « chaotique » comme préfixe à la concurrence, et la plupart des propositions pour une politique « ordonnée » supposent qu’un système concurrentiel est désordonné. D’autres ont trouvé des tendances cumulatives dans la concurrence : par exemple, W. T. Thornton a déclaré que « si un seul employeur réussit à faire baisser les salaires… ses collègues n’auront peut-être pas d’autre choix que de faire de même » (1870, p. 105). Sidney et Beatrice Webb ont élaboré ce point de vue dans leur célèbre théorie du « higgling in the market » ( 1920, partie 3, chapitre 2).

L’analyse économique moderne, en revanche, fait de l’équilibre concurrentiel la partie centrale de la théorie des prix et de l’allocation des ressources. La présence de l’ordre et de la continuité dans les marchés composés de nombreux acheteurs et vendeurs agissant indépendamment a été établie au-delà de toute question sérieuse, tant sur le plan théorique qu’empirique.

La principale pierre d’achoppement dans l’acceptation par le profane de l’équilibre concurrentiel est la croyance que de nombreux individus agissant indépendamment vont nécessairement sous-estimer ou surestimer chaque changement approprié dans la production, les prix, l’investissement, et ainsi de suite. Si, par exemple, une demande croissante exige une augmentation de 10 % de la capacité industrielle, comment ce total précis peut-il être atteint lorsqu’un grand nombre d’entreprises modifient individuellement et indépendamment leurs installations dans une centaine de proportions différentes ? En un sens, c’est une fausse question : personne ne peut savoir que la demande de l’année suivante sera exactement supérieure de 10 pour cent, et ni un organisme public ni un monopoleur privé ne peuvent garantir qu’ils disposeront de la « bonne » capacité l’année suivante. Mais mettons cette complication de côté.

La réponse, alors, est qu’il y a beaucoup d’informations disponibles pour guider les décisions des nombreuses entreprises indépendantes. Il s’agit en partie d’informations courantes : chaque commerce est au courant des décisions d’investissement de ses différentes entreprises, de l’évolution des produits et des méthodes de production, et ainsi de suite. Ces informations proviennent des vendeurs, des revues spécialisées, des clients et des fournisseurs, et d’une multitude d’autres sources. L’entreprise est également guidée par le comportement passé dans l’industrie : si les augmentations précédentes de la production ont été fournies en partie par de nouvelles entreprises, cela devient un facteur dans les décisions actuelles.

Preuve empirique de la concurrence

Une variété de tests statistiques de l’existence de la concurrence a été proposée à diverses reprises, et au moins trois d’entre eux méritent une certaine attention.

La présence de nombreuses entreprises, dont aucune ne domine en taille, est directement observable et est généralement décrite par un faible ratio de concentration. La principale difficulté de ce test structurel de la concurrence est que la concentration maximale compatible avec la concurrence n’a pas été déterminée, de sorte que le test n’est clair que lorsque la concentration est faible. Le problème est compliqué par le fait que nous n’avons eu aucun guide théorique pour résumer la distribution de fréquence de la taille des entreprises, ce qui peut, bien sûr, être fait de nombreuses façons.

Puisqu’un prix unique régnera en concurrence parfaite, l’homogénéité des prix a souvent été proposée comme test de concurrence. Nous avons déjà remarqué que la connaissance parfaite suffit à assurer un prix unique, que le marché soit concurrentiel ou monopolistique. En effet, dans un marché composé de nombreux vendeurs et acheteurs, il est improbable que tous les prix soient uniformes dans un court intervalle de temps donné. C’est improbable pour deux raisons qui se renforcent l’une l’autre : les transactions portent rarement sur des biens totalement homogènes (les remises sur quantité, la rapidité du paiement et une douzaine d’autres caractéristiques varient presque à l’infini d’une transaction à l’autre) ; et le coût de l’apprentissage des prix du marché, compte tenu du grand nombre d’opérateurs, est tel qu’une information complète n’en vaut pas la peine. Par conséquent, l’uniformité stricte des prix a été considérée à juste titre par les tribunaux comme un phénomène plus évocateur de collusion que de concurrence.

Une preuve connexe de concurrence est plus puissante : l’absence de discrimination systématique des prix. Si les vendeurs obtiennent de manière persistante des recettes nettes (qui ne sont pas nécessairement les mêmes que les prix) plus élevées de certains acheteurs que d’autres, nous pouvons être sûrs qu’ils agissent de concert – une entreprise vraiment indépendante concentrerait ses ventes sur les acheteurs qui lui rapportent des recettes nettes plus élevées.

Un quatrième test, et peut-être le plus traditionnel, de l’absence de concurrence est un taux élevé de retour sur investissement. Il a perdu beaucoup de popularité en raison de la difficulté de mesurer la rentabilité (en particulier, l’évaluation des actifs durables peut dissimuler des bénéfices de monopole ou créer des taux de rendement fictivement élevés) et parce qu’une absence de bénéfices élevés est compatible avec divers accords de cartel. Pourtant, il est vrai que les taux de rendement inhabituellement élevés ou faibles ne persistent pas pendant de longues périodes dans un secteur concurrentiel. Plus précisément, une étude récente suggère que dans les industries manufacturières non concentrées, les taux de rendement d’une année ne fourniront aucun indice utile sur les taux gagnés, disons, cinq ans plus tard (Stigler 1963, chapitre 3).

Politiques publiques

Les lois, tant statutaires que communes, ont cherché à protéger la concurrence depuis des siècles. Le Statute of Monopolies, adopté en 1623 pour restreindre l’utilisation par la couronne des concessions de monopole pour obtenir des revenus, en est un exemple célèbre, tout comme les statuts (qu’Adam Smith comparait, en termes de rationalité, aux lois contre la sorcellerie) contre le forestage, l’engrossage et le regrattage des céréales.

Le Sherman Act de 1890 a donc été précurseur, non pas dans son interdiction des restrictions au commerce, mais dans la mise en œuvre de cette politique par une force administrative chargée de débusquer et de poursuivre de tels actes. Cette loi antimonopole, la plus fondamentale de toutes, interdisait non seulement les conspirations visant à restreindre le commerce, mais aussi les tentatives de monopolisation, et ce, dans des termes si larges qu’ils défiaient presque les conflits d’esprit et de lettre. Les sanctions pénales étaient complétées par l’incitation à verser des dommages et intérêts triples aux parties privées qui avaient été lésées par les actes interdits.

La plainte selon laquelle le Sherman Act n’entrait en vigueur qu’après la destruction des marchés concurrentiels (ce qui n’était ni vrai ni totalement faux), la conviction qu’un groupe de spécialistes pouvait traiter les problèmes industriels plus efficacement que le pouvoir judiciaire, et l’impatience générale des réformateurs – tout cela s’est combiné pour aboutir en 1914 au Clayton Act, qui interdisait un ensemble de pratiques qui (pensait-on) conduisaient souvent au monopole, et à la loi créant la Federal Trade Commission pour faire appliquer le Clayton Act. Avec les amendements – les plus importants étant la loi Robinson-Patman de 1936 et la loi Celler-Kefauver sur les fusions de 1950 – la base législative de la politique américaine a été élaborée. Cette politique comporte certains éléments anticoncurrentiels discordants (le Robinson-Patm an Act, avec son objectif d’uniformité rigide des prix, et la légalisation du maintien des prix de revente), comme les politiques générales ont l’habitude de le faire.

Que cette politique ait contribué à la compétitivité de l’économie américaine est difficile à nier ou à documenter. Pourtant, les comparaisons internationales – en particulier, de la même industrie (souvent composée des mêmes entreprises) au Canada et aux États-Unis – suggèrent que cette politique a eu des effets substantiels. Tout comme le fait que les pratiques favorites du cartel formel – une agence de vente commune ou une division de la clientèle – sont plutôt rares aux États-Unis.

La politique de restriction des accords entre concurrents (mais pas celle qui consiste à chercher à empêcher les monopoles) s’est étendue à de nombreuses autres nations depuis son introduction aux États-Unis. La forme la plus courante consiste à exiger l’enregistrement des accords entre les entreprises d’un secteur, puis l’approbation ou la désapprobation de l’accord par un organisme spécialement constitué. C’est la pratique de l’Angleterre, de l’Allemagne et de plusieurs autres nations, ainsi que du Marché commun européen.

George J. Stigler

BIBLIOGRAPHIE

Chamberlin, Edward H. (1933) 1956 Theory of Monopolistic Competition : Une réorientation de la théorie de la valeur. 7th ed. Harvard Economic Studies, Vol. 38. Cambridge, Mass. : Harvard Univ. Press.

Clark, John M. 1940 Toward a Concept of Workable Competition. American Economic Review 30:241-256.

Edgeworth, Francis Y. (1881) 1953 Mathematical Psychics : Un essai sur l’application des mathématiques aux sciences morales. New York : Kelley.

Knight, Frank H. (1921) 1933 Risque, incertitude et profit. London School of Economics and Political Science Series of Reprints of Scarce Tracts in Economic and Political Science, n° 16. London School of Economics ; New York : Kelley.

Marshall, Alfred (1890) 1920 Principes d’économie. 8ème édition. New York : Macmillan.

Stigler, George J. 1957 Concurrence parfaite, historiquement contemplée. Journal of Political Economy 65 : 1-17.

Stigler, George J. 1963 Capital et taux de rendement dans les industries manufacturières. Une étude du National Bureau of Economic Research. Princeton Univ. Press.

Autres ouvrages cités

Thornton, William Thomas (1869) 1870 On Labour : Its Wrongful Claims and Rightful Dues. 2d ed., rev. Londres : Macmillan.

Webb, Sidney ; et Webb, Beatrice (1897) 1920 Industrial Democracy. New ed. 2 vol. en un. Londres et New York : Longmans.