La congestion pulmonaire dans l’insuffisance cardiaque aiguë : From Hemodynamics to Lung Injury and Barrier Dysfunction | Revista Española de Cardiología

L’insuffisance cardiaque aiguë (ICA) a été définie comme l’apparition ou l’aggravation de signes et de symptômes d’insuffisance cardiaque (IC) nécessitant un traitement urgent.1 L’ICA est une cause majeure de morbidité et de mortalité2. Malgré la variation considérable des profils cliniques et l’hétérogénéité substantielle des causes sous-jacentes, la grande majorité des patients atteints d’AHF présentent des symptômes et des signes de congestion pulmonaire et systémique plutôt qu’un faible débit cardiaque. En conséquence, la dyspnée est le symptôme cardinal chez les patients hospitalisés pour une FHA.3

Bien que de nombreux patients répondent au traitement initial,1 un pourcentage significatif d’entre eux ne ressentent pas de soulagement précoce de la dyspnée.1 De plus, il existe une dissociation entre la pression capillaire pulmonaire en coin (PCWP) et la sévérité de la dyspnée, de sorte que les patients ayant une PCWP élevée peuvent être faiblement dyspnéiques, tandis que les patients ayant une PCWP relativement plus faible peuvent présenter une dyspnée sévère.4 De plus, le taux de mortalité et de réadmission à court terme peut atteindre 50 %.5 Ces observations soulignent la compréhension incomplète de la pathogenèse de la congestion pulmonaire dans l’AHF.

PATHOPHYSIOLOGIE DE LA CONGESTION PULMONAIRE

La congestion pulmonaire est définie comme une accumulation de liquide dans les poumons, entraînant une altération des échanges gazeux et une hypoxémie artérielle. Elle se produit de manière séquentielle, se développant d’abord dans la région hilaire des poumons, puis par le remplissage de l’espace interstitiel et enfin, dans sa forme la plus sévère, par l’inondation alvéolaire. Une pression de remplissage élevée du ventricule gauche (VG) entraînant une hypertension veineuse pulmonaire (augmentation de la PCWP) est le principal mécanisme sous-jacent de la congestion pulmonaire. L’élévation de la pression diastolique du ventricule gauche (PVDG) résulte d’une surcharge liquidienne causée soit par la rétention de liquide, soit par la redistribution de liquide.6 D’autre part, une augmentation rapide de la pression sanguine (postcharge), en particulier chez les patients présentant une dysfonction diastolique, peut précipiter une congestion pulmonaire grave.7 Souvent, l’élévation de la PVDL (congestion hémodynamique) précède la congestion clinique de plusieurs jours, voire de plusieurs semaines8.

CONCEPTS ANCIENS ET NOUVEAUX DANS LA PATHOGÉNÈSE DE L’ÉDÈME PULMONAIRE

L’œdème pulmonaire est le résultat d’un déséquilibre entre les forces qui poussent le liquide dans les alvéoles et les mécanismes de son élimination. La filtration du liquide à travers la paroi capillaire pulmonaire est décrite par l’équation de Starling :9

où Jv est le taux de filtration transcapillaire net, Lp est la conductivité hydraulique de la barrière, S est la surface de la barrière, Pc est la pression hydrostatique capillaire pulmonaire, Pi est la pression hydrostatique interstitielle, ¦Ðc est la pression oncotique des colloïdes du plasma capillaire, ¦Ði est la pression oncotique du fluide interstitiel, et ¦Ò est le coefficient de réflexion osmotique moyen de la barrière. LpS a été défini comme le coefficient de filtration capillaire (Kfc).

Selon l’équation de Starling, l’équilibre entre les pressions hydrostatiques (Pc-Pi) et les pressions oncotiques (¦Ðc-¦Ði) constitue la force motrice de la filtration des fluides. Sur la base de ce modèle si mplistique, l’œdème pulmonaire a été traditionnellement classé en catégories cardiogénique et non cardiogénique. L’œdème pulmonaire cardiogénique ou hydrostatique résulte de pressions hydrostatiques capillaires pulmonaires élevées qui perturbent l’équilibre de Starling alors que la barrière alvéolo-capillaire reste intacte. Au contraire, l’œdème non cardiogénique ou à haute perméabilité est caractérisé par une lésion de la barrière alvéolo-capillaire avec fuite de liquide riche en protéines dans l’interstitium et les espaces aériens.10 Cependant, ce modèle physiopathologique de mouvement passif de liquide, qui dépend des gradients oncotiques et hydrostatiques à travers la barrière sang-gaz, semble être une simplification excessive. Des études basées sur le rapport entre les protéines du liquide d’œdème et les protéines sériques chez des patients présentant un œdème pulmonaire cardiogénique et non cardiogénique ont montré qu’il y a souvent une combinaison de pression capillaire pulmonaire hydrostatique élevée et de perméabilité élevée de la barrière alvéolo-capillaire, ce qui entraîne un chevauchement significatif entre les deux groupes. Si l’augmentation de la pression capillaire pulmonaire hydrostatique était en soi responsable de la formation de l’œdème pulmonaire, on s’attendrait à ce que la concentration en protéines du liquide de la paroi alvéolaire diminue en raison de l’afflux d’ultrafiltrat plasmatique. Paradoxalement, elle double presque.11, 12 Par conséquent, l’œdème pulmonaire hydrostatique et l’œdème pulmonaire à haute perméabilité peuvent représenter les extrêmes du spectre de l’œdème pulmonaire11, 12 Deux processus fondamentaux peuvent entraîner un dysfonctionnement de la barrière alvéolo-capillaire dans l’AHF : a) une lésion mécanique de la barrière due à l’augmentation des pressions capillaires pulmonaires hydrostatiques, et b) une lésion pulmonaire inflammatoire et oxydative (Figure 1).

Figure 1. Schéma montrant l’implication des lésions mécaniques ainsi que des lésions pulmonaires inflammatoires et oxydatives dans le dysfonctionnement de la barrière alvéolo-capillaire et la congestion pulmonaire chez les patients atteints d’insuffisance cardiaque aiguë. LVEDP, pression end-diastolique du ventricule gauche ; PCWP, pression capillaire pulmonaire en coin.

PROPRIÉTÉS PHYSIOLOGIQUES DE LA BARRIÈRE ALVÉOLAIRE CAPILLAIRE

Dans ses parties les plus fines, la barrière hémoglobine est constituée de la couche endothéliale capillaire, de la couche épithéliale alvéolaire et de la matrice extracellulaire, qui est constituée des membranes basales fusionnées des deux couches cellulaires13, 14 La barrière sang-gaz du poumon humain doit jouer deux rôles contradictoires. D’une part, elle doit être extrêmement fine afin de favoriser un échange efficace d’oxygène et de dioxyde de carbone par diffusion passive. D’autre part, elle doit être suffisamment solide pour surmonter la contrainte imposée par la pression hydrostatique capillaire élevée. La perte de son intégrité structurelle peut entraîner un œdème ou une hémorragie alvéolaire. La résistance de la barrière hémato-gazeuse peut être attribuée au type de collagène présent dans les membranes basales15.

DYSFONCTIONNEMENT AIGU ET CHRONIQUE DE LA BARRIERE HALOGENABLE EN CAS D’INSUFFISANCE CARDIAQUE

Le terme ¡°stress failure¡± a été introduit pour décrire les lésions mécaniques de la barrière alvéolo-capillaire résultant d’une augmentation brutale de la pression hydrostatique capillaire pulmonaire16. Plusieurs modèles expérimentaux ont montré que les traumatismes induits par la pression entraînent des modifications ultrastructurales de la barrière hémato-gazeuse impliquant la rupture de la couche endothéliale du capillaire pulmonaire ainsi que de la couche épithéliale alvéolaire.16 Il en résulte une transition progressive d’une forme de faible perméabilité à une forme de haute perméabilité de l’œdème pulmonaire.17 Des preuves expérimentales suggèrent la réversibilité des changements ultrastructuraux de la barrière hémato-gazeuse observés lors d’une blessure mécanique aiguë.18 D’autre part, l’élévation soutenue de la pression capillaire pulmonaire entraîne un épaississement de la barrière alvéolo-capillaire dû principalement à un dépôt excessif de collagène de type IV.15 Ce processus de remodelage peut être protecteur contre d’autres dommages dus à une pression élevée et peut augmenter la résistance du poumon au développement d’un œdème pulmonaire chez les patients atteints d’HF chronique.11 Cependant, il entraîne une diminution significative de la capacité de diffusion alvéolaire et altère le transfert des gaz et la capacité d’exercice. Les protéines spécifiques de l’épithélium pulmonaire¨C peuvent traverser la barrière alvéolo-capillaire pour passer dans la circulation et peuvent servir de marqueurs de l’endommagement de la barrière dans plusieurs conditions pathologiques.19 La protéine B du surfactant (SP-B) est la plus petite des protéines spécifiques du surfactant détectable dans la circulation. La SP-B joue un rôle central dans la formation et la stabilisation du surfactant pulmonaire et est synthétisée exclusivement par les cellules épithéliales alvéolaires de type II, à partir desquelles elle est sécrétée par leur surface apicale dans les alvéoles, de sorte que, dans des conditions normales, un gradient fluide de revêtement épithélial : plasma de >1500:1 est maintenu.20 Cependant, en cas de lésion de la barrière, des quantités accrues passent dans la circulation sanguine. Ainsi, les taux de SP-B circulants augmentent de façon aiguë en réponse à une dysfonction du ventricule gauche induite par l’exercice, probablement en raison d’un dysfonctionnement de la barrière résultant d’une augmentation aiguë des pressions hydrostatiques capillaires pulmonaires.21 De plus, une augmentation prolongée du SP-B circulant a été rapportée après un œdème pulmonaire cardiogénique aigu, suggérant une atteinte continue de la barrière chez ces patients22. Enfin, les niveaux plasmatiques circulants de SP-B sont liés à la diffusion gazeuse alvéolaire, à la performance globale à l’effort et à l’efficacité de la ventilation, ce qui démontre un lien entre les dommages anatomiques et fonctionnels de la barrière alvéolo-capillaire chez les patients atteints d’HF23..

Le rôle des lésions pulmonaires inflammatoires et oxydatives dans le cadre de l’insuffisance cardiaque aiguë

Une insulte inflammatoire grave de l’endothélium capillaire pulmonaire et de l’épithélium alvéolaire, entraînant un dysfonctionnement de la barrière et la formation d’un œdème pulmonaire de haute perméabilité, joue un rôle central dans la physiopathologie des lésions pulmonaires aiguës et de leur manifestation la plus grave, le syndrome de détresse respiratoire aiguë (SDRA). Cependant, de plus en plus de preuves suggèrent que les lésions pulmonaires hydrostatiques dans le cadre de l’AHF sont liées à l’inflammation pulmonaire.24 Le liquide de l’œdème pulmonaire dans l’AHF présente des concentrations accrues de neutrophiles,25 de cytokines pro-inflammatoires,26 et de biomarqueurs du stress oxydatif. En outre, le dysfonctionnement prolongé de la barrière hémato-gazeuse après un œdème pulmonaire aigu cardiogénique peut être lié à une inflammation du parenchyme pulmonaire22.

L’inflammation pulmonaire peut faire partie du mécanisme de réparation après une lésion hydrostatique pulmonaire. Comme nous l’avons déjà noté, la ¡°stress failure¡± de la barrière hémato-gazeuse peut conduire à une transition progressive d’une forme de faible perméabilité à une forme de haute perméabilité de l’œdème pulmonaire. L’élimination alvéolaire des protéines précipitées par les macrophages pendant la résolution de l’œdème pulmonaire peut déclencher une activité inflammatoire, notamment la libération du facteur de nécrose tumorale ¦Á.27, 28.

D’autre part, l’inflammation pulmonaire dans le cadre de l’AHF peut être une réponse directe au stress mécanique de la microcirculation pulmonaire. L’endothélium pulmonaire peut transposer le signal mécanique en une réponse biologique en induisant plusieurs voies de signalisation intracellulaires, qui peuvent entraîner une augmentation de la production de cytokines inflammatoires, une activation des macrophages, une inflammation aiguë et un dysfonctionnement de la barrière.29 Parmi les diverses voies de signalisation induites par le stress mécanique de la microcirculation pulmonaire, un rôle des espèces réactives de l’oxygène reçoit une attention croissante. Le stress oxydatif joue un rôle important dans la compromission de la barrière hémato-gazeuse, soit par des dommages oxydatifs directs aux composants cellulaires de base de la barrière, soit par l’activation de voies de signalisation sensibles à l’oxydoréduction conduisant à l’apoptose et à l’inflammation29.

Les lésions pulmonaires inflammatoires et oxydatives peuvent jouer un rôle physiopathologique important dans la décompensation de l’HF en endommageant davantage la barrière alvéolo-capillaire et en augmentant sa perméabilité. En conséquence, le seuil de pression hydrostatique capillaire pulmonaire pour l’accumulation de liquide pulmonaire diminue. Ce paramètre pourrait expliquer la vulnérabilité des patients atteints d’AHF aux récidives.

ÉVALUER L’INJURATION DU POUMON EN CAS D’INSUFFISANCE CARDIAQUE AIGUË

L’étude du liquide de revêtement épithélial peut fournir des informations utiles sur l’endommagement de la barrière alvéolo-capillaire chez les patients atteints d’HF, notamment en ce qui concerne des processus physiopathologiques importants tels que l’inflammation et la perturbation du système redox. Jusqu’à présent, l’accès à ce liquide a été basé sur le lavage bronchoalvéolaire, qui est une technique invasive nécessitant une bronchoscopie et pouvant influencer les niveaux d’inflammation des voies respiratoires. Par conséquent, on dispose d’informations limitées provenant d’un petit nombre de patients atteints d’œdème pulmonaire cardiogénique nécessitant une ventilation mécanique.26, 30 Récemment, un intérêt croissant a été porté à l’échantillonnage des voies respiratoires inférieures par des moyens non invasifs, notamment l’induction d’expectorations, la mesure de l’oxyde nitrique exhalé, ainsi que la collecte et l’analyse du condensat respiratoire exhalé (CSE).

Le CSE est apparu comme un outil potentiel pour l’étude du fluide de revêtement épithélial alvéolaire. Il se compose principalement d’eau avec des gouttelettes aérosolisées piégées provenant du fluide de revêtement des voies aériennes, ainsi que de composés volatils et non volatils solubles dans l’eau.31 Son principal composant est la vapeur d’eau condensée, qui représente presque tout le volume (>99%) du fluide recueilli dans l’EBC.32 La collecte de l’EBC est simple, totalement non invasive, sûre et reproductible. Elle s’effectue en expirant à mi-corps dans un appareil de condensation refroidi. Un large éventail de biomarqueurs a été étudié dans l’EBC, notamment le pH, les cytokines, les isoprostanes, les leucotriènes, les oxydes d’azote, les peptides, l’adénosine, les métabolites de l’acide arachidonique, l’ammoniac, le peroxyde d’hydrogène et l’ADN33. Par conséquent, l’EBC est de plus en plus utilisé comme outil de recherche et outil clinique dans l’étude de l’inflammation des voies respiratoires, du stress oxydatif et de l’équilibre acido-basique dans de nombreuses maladies pulmonaires, notamment l’asthme, la bronchopneumopathie chronique obstructive, le SDRA, la mucoviscidose, la bronchiectasie et le cancer du poumon34. Dans le but de fournir de nouvelles perspectives sur le rôle des lésions pulmonaires et du dysfonctionnement de la barrière hémato-gazeuse dans l’AFH, nous avons démontré que pendant les épisodes de décompensation de l’HF, l’EBC montre une augmentation des marqueurs EBC de l’activité inflammatoire et du stress oxydatif (données non publiées).

En conclusion, la congestion pulmonaire dans l’AHF est un processus physiopathologique complexe, au-delà de la surcharge liquidienne et de l’hémodynamique. Les lésions pulmonaires inflammatoires et oxydatives entraînant un dysfonctionnement de la barrière hémato-gazeuse semblent jouer un rôle central dans la pathogenèse de l’œdème pulmonaire et pourraient constituer une nouvelle cible thérapeutique. D’autres recherches sont nécessaires pour préciser si la prévention des lésions de la barrière au lieu du simple contrôle des pressions capillaires pulmonaires hydrostatiques améliorera le traitement et le pronostic de l’AHF.

CONFLITS D’INTÉRÊTS

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