L’empereur Frédéric II Hohenstaufen de Souabe, roi de Sicile – Best of Sicily Magazine
À l’instar de Rome, Vienne et Aix-la-Chapelle, Palerme est l’hôte éternel des tombeaux des empereurs du Saint Empire romain germanique – le Hohenstaufen Henri VI et son filsFrederick II. Cela explique l’intérêt constant que les visiteurs allemands ont porté à cette ville sicilienne au fil des siècles. Bien sûr, Goethe et Wagner ont également séjourné dans la capitale sicilienne, mais pour la famille souabevon Hohenstaufen, Palerme n’était pas une simple escale (bien que fascinante), mais plutôt un important siège de gouvernement, une source de richesse et une base d’opérations loyale pour leurs ambitions impériales. Avant d’approfondir la vie de Frédéric II, il est important de comprendre comment la Sicile est tombée sous la domination directe et personnelle de potentats médiévaux allemands. Considérons (même brièvement) les événements qui l’ont précédé.
Quelques années avant que les Normands ne conquièrent l’Angleterre, leurs frères d’armes se sont dirigés vers le sud et ont envahi les terres du sud de l’Italie, arrachant la Sicile aux Maures (Sarrasins) résidents au cours d’un conflit de dix ans qui a débuté par la conquête de Messine en 1061, déplaçant plusieurs émirs musulmans dans une sorte de mini-croisade. Les brillants chefs de cette bande de chevaliers nordiques sont Robert et Roger de Hauteville. Le fils de Roger, Roger II, fut finalement couronné premier roi de Sicile.
Le roi Roger se révéla être un administrateur compétent et efficace. En 1140, il était capable de réorganiser le gouvernement de l’île, de se lancer dans un admirable programme de construction et d’encourager des personnes douées, issues de différentes traditions et même de différentes religions, à apporter leur sagesse et leur expérience pour enrichir sa cour, créant ainsi un environnement multiculturel qui n’est pas sans rappeler le Londres ou le New York d’aujourd’hui. Imitant les habitudes orientales, Roger II rassembla beaucoup de pouvoir entre ses mains et gouverna la Sicile et le sud de l’Italie comme un despote bienveillant dans la tradition byzantine, distinguant sa forme de gouvernement de celle des Normands en Angleterre.
À sa mort en 1154, Roger II fut succédé par son fils, Guillaume Ier, dont la politique rencontra souvent l’opposition des vassaux normands retranchés. En 1166, Guillaume « le Mauvais » meurt et son jeune fils Guillaume II « le Bon » lui succède sous une régence. En 1189, à trente-six ans, ce souverain meurt et sa tante, Constance, fille de Roger II et épouse du puissant souverain d’Europe centrale Henri VI de la dynastie souabe des von Hohenstaufen, lui succède.
Après bien des remous et des intrigues (provoqués en partie par Tancrède, un petit-fils bâtard de Roger II), Henri VI, empereur du Saint Empire romain germanique et fils du grand Barberousse, est couronné roi de Sicile par droit de mariage à la cathédrale de Palerme le jour de Noël 1194. Dans les Pouilles, sur le continent,Constance, jusque-là sans enfant, donne naissance, à 40 ans (en présence de nombreux témoins), à un fils baptisé Frédéric Roger.
Henry n’était pas aimé en Sicile, mais le couple impérial avait réussi à vaincre ses ennemis et à s’assurer le soutien des nobles et du pape.Ils ont établi leur règne et celui de leur fils sur le royaume de Sicile, indiscipliné mais encore très riche, qui englobait tout de l’Italie du Sud,ainsi qu’une grande partie de l’Italie du Nord et de l’Europe centrale. La vie et le règne d’Henri en Sicile furent cependant brefs, et en 1197, Frédéric succéda à son père, avec Constance comme régente. Il est couronné en mai 1198 et sa mère meurt la même année. Avec le pape Innocent III comme tuteur et protecteur, l’avenir de Frédéric semblait assuré.
Les légendes abondent sur son enfance à Palerme, alors une ville aux jardins stupéfiants et à la belle architecture normando-arabe. Il y apprend la survie socialemais aussi le respect des différents peuples et religions (chrétiens, musulmans, juifs), acquérant une bonne connaissance de l’arabe, du grec, du latin, de l’italien, du sicilien, de l’allemand et du français normand. À Palerme, nous disent les récits, Frédéric pouvait écouter et apprendre des marins et des marchands qui revenaient des terres et des coutumes étrangères exotiques du sud et de l’est. Il pouvait apprendre auprès de savants, de philosophes, d’historiens, d’artisans, de chroniqueurs, d’astrologues et de dresseurs d’animaux (il y avait un grand zoo de bêtes » étrangères « ), et il cultivait une passion pour la fauconnerie, sur laquelle il a écrit un guide.
En 1209, à l’âge de 15 ans, il a épousé Constance d’Aragon, qui était de plusieurs années son aînée. En fait, elle a souvent servi de « régente » ou de « vice-roi » pendant ses longues absences de Sicile.
Le long règne de Frédéric l’a conduit au cœur de l’Allemagne pour dompter ses vassaux rebelles, et en Terre sainte en croisade. Les détails des intrigues et des conflits internationaux qui ont englouti l’Europe occidentale et FrédéricII dans les premières décennies du XIIIe siècle peuvent être laissés aux biographes et aux chercheurs. (Voir la page du livre.) Nous nous en tiendrons à des généralités sur l’administration et la société sous l’empereur, qui avait besoin d’une base d’opérations solide et fiable dans les jeux de pouvoir extérieurs de l’époque. Quel meilleur endroit qu’une île riche mais indépendante, relativement facile à défendre et difficile à envahir, dotée de ressources naturelles et humaines, qui pouvait défendre et faire avancer les intérêts d’un souverain ambitieux ?
Pour exploiter ce bastion clé, le roi impérial avait besoin d’un gouvernement fort, voire d’une monarchie absolue. Son onction et sa mission « divines » ne plaisent pas à cette autre puissance médiévale qu’est la papauté. Ses croyances religieuses personnelles sont ambiguës et certains historiens soupçonnent même Frédéric II d’être déiste.
Frédéric a fait appel à certains des plus grands esprits juridiques de l’époque pour coder et collecter les précédentes lois normandes, arabes et byzantines afin d’établir une procédure ferme et ordonnée pour les conflits juridiques. La ville de Melfi a été le siège de cette entreprise, les « Constitutions de Melfi ». Finalement, les juges nommés par la royauté (justiciers) ont supplanté les aristocrates locaux dans l’exercice de la justice. L’agriculture, la monnaie et une nouvelle armée professionnelle sont également organisées pour répondre aux besoins d’un État efficace. Des impôts annuels sont prélevés sur certaines activités et matières premières, tandis que l’État assume la production exclusive de certaines autres comme le fer, la soie et, surtout, le sel.
Des comptables et des teneurs de livres avisés de Gênes sont invités à gérer les revenus fiscaux du roi, d’où l’aversion de l’Italie du Sud pour l' »avarice » et le sens des affaires des Génois, qui perdure encore aujourd’hui. Sous Frédéric II, le féodalisme en Sicile existait comme une institution sophistiquée qui, si elle n’était pas exactement éclairée, reflétait une amélioration par rapport aux modèles antérieurs.
Mais Frédéric n’oubliait pas son royaume continental. En 1221, il établit à Naples un grand siège d’apprentissage laïc (non clérical) qui, aujourd’hui encore, fonctionne comme l’université qui porte son nom. Il trouve également le temps de traverser l’Italie du Nord jusqu’en Allemagne, le cœur du Saint Empire romain germanique, pour rappeler à ses vassaux leur devoir féodal ; la plupart d’entre eux n’avaient jamais rencontré leur jeune empereur. Avec son royaume bien en main, Frédéric II peut affronter les autres puissances de l’époque avec détermination et habileté. Ses talents valent au monarque trapu et roux le surnom de stupor mundi, « le prodige du monde ». Faisant allusion à son harem, d’autres l’appelaient « un Christiansultan »
Les papes voulaient que Frédéric prenne la tête d’une sainte croisade contre les musulmans du Proche-Orient, pour libérer Jérusalem et rétablir la domination chrétienne sur les rives orientales de la Méditerranée. Pendant un temps, Frédéric évite adroitement cette imposition papale (il a déjà suffisamment de difficultés avec certains musulmans de son propre royaume), mais en 1227, il ne peut plus repousser cette mission et arrive en Palestine en 1229. Il obtient le pouvoir sur la Terre Sainte non pas par des prouesses militaires et des effusions de sang, mais par une persuasion habile et une diplomatie délicate. Ses méthodes ne plaisent pas à tout le monde à Rome.
L’année suivante, Frédéric est couronné roi de Jérusalem dans l’église du Saint-Sépulcre, seul empereur romain germanique à être ainsi honoré.Cette sixième croisade pourrait être considérée comme le zénith même de la vie politique de Frédéric. « Stupor mundi » en effet.
Mais la vie de Frédéric von Hohenstaufen était bien plus que cela. Il a encouragé un intérêt pour la poésie et la littérature ; la langue sicilienne s’est épanouie à sa cour. La fauconnerie, l’écologie et l’efficacité du gouvernement ne sont que quelques-unes de ses obsessions. Son courage et sa détermination face à l’opposition papale à sa politique vont également renforcer son image. Un monarque doté d’une passion intellectuelle était aussi rare au XIIIe siècle qu’aujourd’hui.
Après des années de conflits, d’activité frénétique et de voyages constants, FrédéricII est terrassé par la fièvre en décembre 1250 dans les Pouilles, sa terre natale. Il mourut juste avant son cinquante-sixième anniversaire et fut enterré dans la cathédrale de sa ville préférée, Palerme, où il repose aujourd’hui aux côtés de sa mère, de son père et de son épouse.
Des petites luttes de pouvoir dynastiques et une brève guerre d’indépendance (Les Vêpres siciliennes) suivirent, mais jamais plus la Sicile ne connaîtra la gloire, la prospérité et la véritable indépendance dont elle avait bénéficié sous ce souverain des plus singuliers.
À propos de l’auteur : Le professeur Inserra a déjà écrit sur d’autres sujets se rapportant à l’histoire et à la musique classique.