Quel est le traitement optimal en cas de TVP aiguë ?
Le cas
Une femme de 55 ans subit une cholécystectomie. Au jour 2 postopératoire, elle développe un gonflement et une douleur au niveau de l’extrémité inférieure droite ; l’échographie veineuse détecte une thrombose veineuse profonde (TVP) proximale. La patiente refuse de fumer ou de prendre des médicaments hormonaux. Elle n’a pas d’antécédents de thromboembolie veineuse (TEV), bien que son frère ait eu une TVP à l’âge de 60 ans. L’équipe hospitalière est consultée pour la gestion de la TVP aiguë.
Échographie Doppler montrant une thrombose veineuse profonde (TVP) aiguë bloquant une veine.
Overview
La TEV, comprenant la TVP des extrémités inférieures et supérieures et l’embolie pulmonaire (EP), est l’une des maladies hospitalières les plus courantes et les plus évitables. La TVP avec EP est associée à un taux de mortalité de 10 %, et la TVP avec syndrome post-thrombotique peut être associée à une morbidité importante, notamment la douleur, l’œdème, les modifications de la peau/du pigment, la dilatation veineuse et le développement d’ulcères1,2. La reconnaissance des symptômes cliniques et des facteurs de risque de TVP (voir tableau 1), conjointement avec des prédicteurs de score clinique validés (tels que la règle de prédiction de Wells) et un dosage des D-dimères à haute sensibilité, peut aider à diagnostiquer l’affection et à déterminer la nécessité d’une échographie.3-7
Traitement pharmacologique
L’anticoagulation doit être initiée chez tous les patients atteints de TEV, quels que soient les symptômes du patient. Les options anticoagulantes comprennent :
- L’héparine non fractionnée (HNF) intraveineuse (IV) ou sous-cutanée (SC) ;
- Les héparines de bas poids moléculaire (HBPM) SC, telles que l’énoxaparine et la daltéparine ; et
- Le fondaparinux (aussi efficace que l’HBPM pour le traitement aigu de la TEV).8
Ces agents peuvent être utilisés pendant la transition vers les antagonistes de la vitamine K (AVK) oraux, comme la warfarine3.
Les directives 2012 de l’American College of Chest Physicians (ACCP) sur le traitement antithrombotique de la TEV recommandent un traitement initial par HBPM ou fondaparinux (plutôt que par HNF IV ou SC). Les lignes directrices suggèrent que l’administration d’une HBPM une fois par jour est préférable à une administration deux fois par jour, principalement pour des raisons de commodité pour le patient, bien qu’il s’agisse d’une recommandation faible (2C) compte tenu de la qualité globale des données. Cette recommandation ne s’applique que si la posologie quotidienne de l’HBPM, y compris la tinzaparine, la daltéparine et la nadroparine, est équivalente à la posologie biquotidienne (c’est-à-dire que la daltéparine peut être dosée à 100 unités/kg BID contre 200 unités/kg par jour). Il est important de noter que l’énoxaparine n’a pas été étudiée à une dose uniquotidienne (2 mg/kg), qui est équivalente au schéma posologique biquotidien (1 mg/kg deux fois par jour). De plus, une étude suggère que la dose uniquotidienne d’énoxaparine de 1,5mg/kg pourrait être inférieure à la dose biquotidienne de 1 mg/kg ; par conséquent, il faut faire preuve de prudence en appliquant cette recommandation à l’HBPM énoxaparine pour le moment.3,27,28 (mise à jour le 28 août 2012)
La warfarine doit être commencée simultanément à une dose quotidienne habituelle de 5 mg pendant les deux premiers jours, les doses subséquentes étant ajustées pour atteindre un rapport international normalisé (RIN) cible de 2,0 à 3,0. Les agents parentéraux doivent être administrés pendant au moins cinq jours et jusqu’à ce que l’INR soit >2,0 depuis au moins 24 heures.3
Le nouvel inhibiteur du facteur-Xa, le rivaroxaban, et l’inhibiteur direct de la thrombine, le dabigatran, sont des alternatives orales prometteuses à la warfarine9-11. Cependant, aucun de ces médicaments n’est actuellement approuvé par la FDA pour le traitement de la TEV, et ils ne sont pas non plus recommandés par les directives actuelles (compte tenu des données limitées pour le traitement de la TVP et des préoccupations relatives au risque de saignement).3,12,13 Voir le tableau 2 (ci-dessus) pour des comparaisons des anticoagulants courants.3,14-17
Durée de l’anticoagulation. Le traitement anticoagulant de la TVP aiguë doit se poursuivre pendant au moins trois mois, car des durées plus courtes sont associées à des taux de récidive plus élevés. Un traitement plus long peut être indiqué en fonction du risque de récidive du patient3.
Les directives de l’ACCP estiment le risque de récidive à l’aide de facteurs primaires, secondaires et supplémentaires (voir tableau 3, p. 19) et recommandent les durées suivantes :
- Premier épisode provoqué : trois mois (proximal ou distal, provoqué par une intervention chirurgicale ou un facteur de risque transitoire non chirurgical) ;
- Premier épisode non provoqué distal : trois mois (voir » Considérations relatives à la TVP distale isolée « , ci-dessous) ;
- Premier épisode non provoqué proximal : indéfini si risque hémorragique faible à modéré, trois mois si risque hémorragique élevé ;
- Récurrent non provoqué : Indéfinie si risque de saignement faible à modéré, trois mois si risque de saignement élevé ; et
- Avec un cancer actif : Indéfinie avec une HBPM en raison du risque plus élevé de récidive.3,18
Ces directives sur la durée du traitement pourraient devoir être individualisées en fonction d’autres facteurs, notamment la préférence du patient, la capacité à obtenir un contrôle précis de l’INR (pour les personnes sous warfarine), le coût du traitement et les comorbidités.3
Considérations pour la TVP distale isolée. Les patients présentant un épisode initial de TVP distale, sans symptômes significatifs ni facteurs de risque d’extension (par exemple, D-dimères positifs, caillot étendu près des veines proximales, absence de facteur provoquant réversible, cancer actif, statut de patient hospitalisé ou antécédents de TEV) pourraient ne pas avoir besoin d’anticoagulation.
La TVP peut être suivie par des échographies en série pendant les deux premières semaines ; l’anticoagulation n’est recommandée que si le thrombus s’étend pendant cette période. Le développement de symptômes significatifs ou de facteurs de risque d’extension pourrait indiquer la nécessité d’une anticoagulation.3
Considérations pour une TVP des membres supérieurs (TVSE). L’anticoagulation pour une TVUED est généralement conforme aux directives ci-dessus pour la TVP des membres inférieurs, avec quelques mises en garde. Si une TVUED est associée à un cathéter veineux central (CVC), le CVC doit être retiré si possible ; il n’existe pas de recommandations pour déterminer si le retrait du CVC doit être précédé d’une période d’anticoagulation.
Une TVUED associée à un cathéter nécessite un minimum de trois mois d’anticoagulation ; si le CVC reste en place au-delà de trois mois, l’anticoagulation doit être poursuivie jusqu’au retrait du cathéter. La TVUDE non provoquée présente un risque de récidive plus faible que la TVP des membres inférieurs et une anticoagulation de trois mois, plutôt qu’un traitement indéfini, est recommandée3
Tableau 2. Comparaison des médicaments anticoagulants3,14-17
Traitement mécanique
Les traitements non pharmacologiques, tels que les bas de compression graduée jusqu’au genou avec une pression de 30 mmHg à 40 mmHg à la cheville, peuvent contribuer à réduire la morbidité du syndrome post-thrombotique (SPT) lorsqu’ils sont associés à une anticoagulation. Les patients symptomatiques qui utilisent des bas de compression dès que possible et pendant au moins deux ans peuvent réduire de 50 % l’incidence du STP.3,19,20
Les bas à hauteur de la cuisse ne sont pas plus efficaces que ceux à hauteur du genou et, bien que les bandages de compression multicouches puissent soulager les symptômes pendant la première semaine suivant la TVD, ils ne réduisent pas l’incidence du STP sur un an.21,22 La mobilisation précoce n’est pas associée à un risque accru d’EP, d’extension de la TVP ou de décès ; les patients doivent se déplacer dès qu’ils en sont physiquement capables.23,24
Trombolyse pharmacomécanique
Pour la TVP aiguë, les directives de l’ACCP recommandent l’anticoagulation seule plutôt que la thrombolyse pharmacomécanique (soit une thrombolyse systémique ou dirigée par cathéter et une fragmentation mécanique du thrombus). Le rare patient présentant une gangrène veineuse imminente malgré l’anticoagulation est le seul scénario clinique dans lequel la thrombolyse est clairement indiquée. Les patients qui subissent une thrombolyse pharmacomécanique ont toujours besoin d’un traitement anticoagulant standard.3
Rôle des filtres de la veine cave inférieure
Le rôle optimal des filtres de la veine cave inférieure (VCI) reste incertain. Un seul essai randomisé a révélé que les filtres de la veine cave inférieure, associés à une anticoagulation systémique par rapport à l’anticoagulation systémique seule, étaient associés à des réductions à court terme de l’incidence des EP mais à des augmentations à long terme des TVP récurrentes, sans différence en termes de mortalité ou d’hémorragie majeure. Cependant, aucun essai n’a comparé l’anticoagulation associée à la pose d’un filtre IVC à la pose d’un filtre IVC seule.25,26
Les directives de l’ACCP recommandent la pose d’un filtre IVC uniquement chez les patients présentant une TVP proximale aiguë des membres inférieurs et une contre-indication au traitement anticoagulant. Si la contre-indication est résolue, un traitement anticoagulant classique peut commencer. Il n’est pas recommandé d’associer un filtre VCI à un anticoagulant. Les risques et les avantages des filtres récupérables doivent faire l’objet d’une étude plus approfondie.3
Retour au cas
Notre patiente présente une TVP provoquée secondaire à un facteur de risque réversible (chirurgie) sans autres facteurs de risque cliniques. Ses antécédents familiaux de TVP ne sont pas significatifs (son frère avait > âge de 50 ans lors de la survenue). Cette patiente doit être traitée par HBPM ou fondaparinux avec initiation de la warfarine avec un INR cible de 2,0 à 3,0 pendant au moins trois mois. Elle n’a pas besoin d’un filtre IVC, et elle devrait utiliser des bas de compression pour réduire le risque de PTS.
Ligne de fond
Chez les patients hospitalisés, le traitement de la TVP devrait inclure une anticoagulation immédiate avec une HBPM, du fondaparinux ou de l’héparine IV (chez les patients souffrant d’insuffisance rénale) avec une transition vers la warfarine et un INR cible de 2,0 à 3,0. De nouveaux anticoagulants oraux pourraient s’avérer bénéfiques dans le traitement aigu de la TVP mais doivent faire l’objet de tests supplémentaires. La durée du traitement est spécifique au patient, mais la plupart doivent être anticoagulés pendant au moins trois mois ; certains justifient un traitement indéfini en fonction des facteurs de risque.
Le Dr Sebasky est professeur adjoint et le Dr DeKorte est professeur adjoint de médecine dans la division de médecine hospitalière de l’Université de Californie à San Diego.
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