République démocratique du Congo

Tout au long de l’année 2018, les responsables gouvernementaux et les forces de sécurité ont mené une répression généralisée et commis de graves violations des droits humains contre des dirigeants et des partisans de l’opposition politique, des militants pro-démocratie et des droits humains, des journalistes et des manifestants pacifiques. Les élections du 30 décembre ont été entachées d’irrégularités généralisées, de suppression d’électeurs et de violences. Plus d’un million de Congolais n’ont pas pu voter lorsque le scrutin a été reporté à mars 2019 dans trois zones favorables à l’opposition.

© 2019 Human Rights Watch

Dans le centre et l’est du Congo, de nombreux groupes armés, et dans certains cas les forces de sécurité gouvernementales, ont attaqué des civils, faisant de nombreux morts et blessés. Une grande partie de la violence semblait liée à la crise politique plus large du pays. La situation humanitaire est restée alarmante, avec 4,5 millions de personnes déplacées et plus de 130 000 réfugiés qui ont fui vers les pays voisins. En avril, les responsables gouvernementaux ont nié toute crise humanitaire et ont refusé de participer à une conférence internationale des donateurs visant à collecter 1,7 milliard de dollars US pour l’aide d’urgence à plus de 13 millions de personnes dans le besoin au Congo.

La liberté d’expression et de réunion pacifique

Tout au long de l’année 2018, les responsables gouvernementaux et les forces de sécurité ont interdit les manifestations pacifiques ; utilisé des gaz lacrymogènes et, dans certains cas, des balles réelles pour disperser les manifestants ; limité les déplacements des dirigeants de l’opposition ; et détenu arbitrairement des centaines de militants pro-démocratie et des droits de l’homme, de partisans de l’opposition, de journalistes, de manifestants pacifiques et d’autres personnes, dont la plupart ont finalement été libérés.

Lors de trois manifestations distinctes menées par le Comité laïc de coordination (CLC) de l’Église catholique en décembre 2017, et en janvier et février 2018, les forces de sécurité ont fait usage d’une force excessive, notamment de gaz lacrymogènes et de balles réelles, contre des manifestants pacifiques à l’intérieur et autour des églises catholiques dans la capitale, Kinshasa, et dans d’autres villes. Les forces de sécurité ont tué au moins 18 personnes, dont l’éminent militant pro-démocratie Rossy Mukendi. Plus de 80 personnes ont été blessées, dont beaucoup par balles.

Les dirigeants laïcs de l’Église catholique avaient appelé à des marches pacifiques pour faire pression sur les dirigeants du Congo afin qu’ils respectent « l’accord de la Saint-Sylvestre » signé fin 2016 sous la médiation de l’Église. Cet accord prévoyait des élections présidentielles d’ici la fin de 2017 et des mesures de confiance, notamment la libération des prisonniers politiques, pour apaiser les tensions politiques. Ces engagements ont toutefois été largement ignorés, le président Joseph Kabila se maintenant au pouvoir par la répression et la violence.

Le 25 avril, les forces de sécurité ont brutalement réprimé une manifestation menée par le mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA) à Beni, dans l’est du Congo, arrêtant 42 personnes et en blessant quatre autres. Le 1er mai, les forces de sécurité ont arrêté 27 militants lors d’une manifestation de LUCHA à Goma, dans l’est du Congo. Le 9 juin, Luc Nkulula, militant de premier plan pour la démocratie, est mort dans des circonstances suspectes lors de l’incendie de sa maison à Goma. Ses collègues militants et d’autres personnes pensent qu’il a été victime d’une attaque ciblée.

En juillet, deux journalistes et deux militants des droits de l’homme ont été menacés et se sont cachés après la publication d’un documentaire sur les expulsions massives de terres revendiquées par la famille présidentielle dans l’est du Congo.

Début août, les forces de sécurité congolaises ont tiré des gaz lacrymogènes et des balles réelles pour disperser les partisans de l’opposition politique, tuant au moins deux personnes – dont un enfant – et en blessant au moins sept autres par balle, pendant la période d’enregistrement des candidats aux élections présidentielles. Les autorités ont également restreint les déplacements des dirigeants de l’opposition, arrêté des dizaines de partisans de l’opposition et empêché un aspirant à la présidence, Moïse Katumbi, d’entrer dans le pays pour déposer sa candidature.

La police congolaise a arrêté arbitrairement près de 90 militants pro-démocratie et en a blessé plus de 20 autres lors de manifestations pacifiques le 3 septembre. Les manifestants avaient demandé à la commission électorale nationale de nettoyer les listes électorales après qu’un audit de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a révélé que plus de 16 % des personnes inscrites sur les listes l’avaient été sans empreintes digitales, suscitant des inquiétudes quant à des électeurs potentiellement fictifs. Ils ont également appelé la commission à renoncer à l’utilisation de machines à voter controversées qui n’ont pas été testées au Congo et pourraient potentiellement être utilisées pour trafiquer les résultats.

Un tribunal congolais a condamné quatre membres du mouvement citoyen Filimbi (« sifflet » en swahili) à un an de prison en septembre. Carbone Beni, Grâce Tshunza, Cédric Kalonji, Palmer Kabeya et Mino Bompomi ont été arbitrairement arrêtés ou enlevés en décembre 2017 alors qu’ils mobilisaient les habitants de Kinshasa pour des manifestations nationales le 31 décembre 2017. Kabeya a été libéré en septembre. Les quatre autres ont fini de purger leur peine le 25 décembre.

En novembre, les autorités ont arrêté et détenu pendant quelques jours 17 militants pro-démocratie à Kinshasa. Elles ont également enlevé et torturé un militant de LUCHA à Goma, qui a été libéré au bout de trois jours.

Les forces de sécurité gouvernementales de tout le pays ont dispersé par la force des rassemblements de campagne de l’opposition avant les élections nationales. Du 9 au 13 décembre, les forces de sécurité ont tué au moins 7 partisans de l’opposition, blessé plus de 50 personnes et détenu arbitrairement des dizaines d’autres.

Attaque de civils par des groupes armés et des forces gouvernementales

Plus de 140 groupes armés étaient actifs dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, dans l’est du Congo, et beaucoup ont continué à attaquer des civils, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), en grande partie rwandaises, et les groupes congolais alliés Nyatura, les Forces démocratiques alliées (ADF) dirigées par l’Ouganda, le groupe Nduma Defense of Congo-Renové (NDC-R), les groupes Maï-Maï Mazembe et Yakutumba, et plusieurs groupes armés burundais. Nombre de leurs commandants ont été impliqués dans des crimes de guerre, notamment des massacres ethniques, des viols, le recrutement forcé d’enfants et des pillages.

Selon le Kivu Security Tracker, qui documente la violence dans l’est du Congo, les assaillants, y compris les forces de sécurité de l’État, ont tué plus de 883 civils et enlevé, ainsi que séquestré contre rançon, près de 1 400 autres personnes au Nord-Kivu et au Sud-Kivu en 2018.

Dans le territoire de Beni, dans la province du Nord-Kivu, environ 300 civils ont été tués dans près de 100 attaques menées par divers groupes armés, dont les ADF.

En mai, des assaillants non identifiés ont tué un garde forestier et enlevé deux touristes britanniques et leur chauffeur congolais dans le parc national des Virunga, dans l’est du Congo. Le parc a depuis été fermé au tourisme. Les touristes et le chauffeur ont été libérés par la suite.

Entre décembre 2017 et mars 2018, la violence s’est intensifiée dans certaines parties de la province d’Ituri, dans le nord-est du Congo, où des groupes armés ont lancé des attaques meurtrières contre des villages, tuant des dizaines de civils, violant ou mutilant de nombreux autres, incendiant des centaines de maisons et déplaçant environ 350 000 personnes.

Aussi, dans le nord-est du Congo, l’Armée de résistance du Seigneur, dirigée par l’Ouganda, a continué à kidnapper d’importants groupes de personnes et à commettre d’autres abus graves.

En décembre, des violences ethniques à grande échelle ont éclaté à Yumbi, dans la province de Mai-Ndombe, dans l’ouest du Congo, faisant, selon les informations, des centaines de morts dans une région auparavant pacifique.

Lors des élections de décembre, les forces de sécurité de l’État et les groupes armés de la province du Nord-Kivu, dans l’est du Congo, ont intimidé les électeurs pour qu’ils votent pour des candidats spécifiques.

Justice et responsabilité

Le procès de Bosco Ntaganda, accusé de 13 chefs d’accusation de crimes de guerre et de cinq chefs d’accusation de crimes contre l’humanité qui auraient été commis dans la province d’Ituri, dans le nord-est du Congo, en 2002 et 2003, s’est poursuivi à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye.

En juin, une chambre d’appel de la CPI a annulé les condamnations pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité prononcées contre l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba pour des crimes commis en République centrafricaine voisine. En septembre, la Cour a condamné Bemba en appel à 12 mois de prison pour une condamnation connexe de subornation de témoins. Interprétant la subornation de témoins comme une forme de corruption interdite par la loi électorale congolaise pour les candidats à la présidence, la commission électorale du Congo a par la suite invalidé la candidature de Bemba à la présidence dans ce qui semble être une décision politiquement motivée.

Sylvestre Mudacumura, commandant militaire du groupe armé FDLR, est toujours en fuite. La CPI a émis un mandat d’arrêt contre lui en 2012 pour neuf chefs d’accusation de crimes de guerre.

Le procès congolais sur les meurtres des enquêteurs de l’ONU Michael Sharp et Zaida Catalán et la disparition des quatre Congolais qui les accompagnaient en 2017 dans la région centrale du Kasaï était en cours au moment de la rédaction du présent rapport. Une équipe d’experts mandatée par le secrétaire général de l’ONU pour soutenir l’enquête congolaise n’avait pas obtenu l’accès ou la coopération nécessaires pour soutenir efficacement une enquête crédible et indépendante. Les recherches de Human Rights Watch impliquent des responsables gouvernementaux dans les meurtres.

Une enquête mandatée par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU sur les violences plus larges et à grande échelle dans la région du Kasaï depuis 2016 a révélé que les forces de sécurité et les milices congolaises ont commis des atrocités assimilables à des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En juillet, le conseil a demandé au Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme d’envoyer une équipe de deux experts internationaux des droits de l’homme pour surveiller et rendre compte de la mise en œuvre par les autorités congolaises des recommandations de l’enquête sur le Kasaï.

Le procès contre les membres des forces de sécurité congolaises arrêtés pour avoir prétendument fait un usage excessif de la force pour réprimer une manifestation à Kamanyola, dans l’est du Congo, en septembre 2017, au cours de laquelle une quarantaine de réfugiés burundais ont été tués, et plus de 100 autres blessés, n’avait pas encore commencé au moment de la rédaction de ce rapport.

Le procès du chef de milice Ntabo Ntaberi Sheka, qui s’est rendu à la mission de maintien de la paix de l’ONU au Congo (MONUSCO), a commencé le 27 novembre. Sheka était impliqué dans de nombreuses atrocités dans l’est du Congo, et il était recherché par un mandat d’arrêt congolais depuis 2011 pour crimes contre l’humanité pour viols massifs.

En juillet, Kabila a promu deux généraux, Gabriel Amisi et John Numbi, malgré leur longue implication dans de graves violations des droits de l’homme. Les deux généraux ont également été sanctionnés par les États-Unis et l’Union européenne.

Acteurs internationaux clés

En 2018, le Conseil de sécurité des Nations unies, qui s’est rendu à Kinshasa en octobre, le secrétaire général des Nations unies, l’Union africaine, la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), les États-Unis, l’UE et de nombreux États individuels ont appelé au respect du calendrier électoral. Ils ont souligné la nécessité de respecter pleinement l’accord de la Saint-Sylvestre, y compris les mesures de confiance, et de faire en sorte que les élections soient crédibles et inclusives.

La Belgique a annoncé en janvier 2018 qu’elle suspendait tout soutien bilatéral direct au gouvernement congolais et qu’elle réorientait son aide vers des organisations humanitaires et de la société civile.

Le ministre angolais des Affaires étrangères, Manuel Domingos Augusto, a déclaré en août que la décision de Kabila de ne pas présenter une candidature anticonstitutionnelle à un troisième mandat était « un grand pas », mais qu’il fallait en faire davantage « pour que le processus électoral réussisse et atteigne les objectifs qui ont été fixés par les Congolais. » Lors d’un sommet de la SADC en Namibie en août, le président namibien et nouveau président de la SADC, Hage Geingob, a déclaré que la crise au Congo pourrait entraîner la fuite de davantage de réfugiés vers les pays voisins si elle n’était pas résolue.

En décembre 2017, les États-Unis ont sanctionné le milliardaire israélien Dan Gertler, l’un des amis proches et associés financiers de Kabila qui « a amassé sa fortune grâce à des centaines de millions de dollars de transactions minières et pétrolières opaques et corrompues » au Congo, ainsi que plusieurs personnes et sociétés associées à Gertler. En juin 2018, les États-Unis ont annoncé l’annulation, ou le refus, des visas de plusieurs responsables congolais, en raison de leur implication dans des violations des droits de l’homme et une corruption importante liée au processus électoral du pays.

Le 28 décembre, le gouvernement a expulsé l’ambassadeur de l’UE, Bart Ouvry, avec un préavis de 48 heures. Cela faisait suite à la décision de l’UE, le 10 décembre, de renouveler les sanctions à l’encontre de 14 hauts responsables congolais, dont le candidat à la présidence de la coalition au pouvoir, Emmanuel Ramazani Shadary.