Relation causale
4.8 Relations : circonstancielles et causales
J’ai noté ci-dessus que la recherche et l’explication de relations intéressantes font partie de ce que nous faisons dans la recherche en IHM. Souvent, une expérience contrôlée est conçue et menée spécifiquement dans ce but, et si elle est faite correctement, un type particulier de conclusion est possible. Nous pouvons souvent dire que la condition manipulée dans l’expérience a causé les changements dans les réponses humaines qui ont été observées et mesurées. Il s’agit d’une relation de cause à effet, ou simplement d’une relation causale.
En IHM, la variable manipulée est souvent un attribut à échelle nominale d’une interface, comme le dispositif, la méthode de saisie, la modalité de rétroaction, la technique de sélection, la profondeur du menu, la disposition des boutons, etc. La variable mesurée est généralement un comportement humain à l’échelle du rapport, comme le temps d’achèvement de la tâche, le taux d’erreur, ou le nombre de clics de bouton, d’événements de défilement, de déplacements du regard, etc.
La découverte d’une relation causale dans une expérience d’IHM donne lieu à une conclusion puissante. Si la réponse humaine mesurée est vitale en IHM, comme le temps nécessaire pour effectuer une tâche courante, alors savoir qu’une condition testée dans l’expérience réduit ce temps est un résultat précieux. Si la condition est la mise en œuvre d’une idée nouvelle et qu’elle a été comparée à la pratique actuelle, il y a effectivement lieu de se réjouir. Non seulement une relation de cause à effet a été trouvée, mais la nouvelle idée améliore la pratique existante. C’est le genre de résultat qui ajoute des connaissances précieuses à la discipline ; il fait avancer l’état de l’art.9 C’est là tout l’intérêt de la recherche en IHM !
Trouver une relation ne signifie pas nécessairement qu’une relation causale existe. De nombreuses relations sont circonstancielles. Elles existent, et elles peuvent être observées, mesurées et quantifiées. Mais elles ne sont pas causales, et toute tentative d’exprimer la relation comme telle est erronée. L’exemple classique est la relation entre le tabagisme et le cancer. Supposons qu’une étude suive les habitudes et la santé d’un grand nombre de personnes pendant de nombreuses années. Il s’agit d’un exemple de la méthode de recherche corrélationnelle mentionnée précédemment. À la fin, une relation est trouvée entre le tabagisme et le cancer : le cancer est plus répandu chez les personnes qui ont fumé. Est-il correct de conclure de cette étude que le tabagisme provoque le cancer ? Non. La relation observée est circonstancielle, et non causale. Considérons ceci : en examinant les données de plus près, on découvre que la tendance à développer un cancer est également liée à d’autres variables de l’ensemble des données. Il semble que les personnes qui ont développé un cancer avaient également tendance à boire plus d’alcool, à manger plus d’aliments gras, à dormir moins, à écouter de la musique rock, etc. Peut-être est-ce la consommation accrue d’alcool qui a provoqué le cancer, ou la consommation d’aliments gras, ou autre chose. La relation est circonstancielle, pas causale. Cela ne veut pas dire que les relations circonstancielles ne sont pas utiles. Rechercher et trouver une relation circonstancielle est souvent la première étape d’une recherche plus approfondie, en partie parce qu’il est relativement facile de collecter des données et de rechercher des relations circonstancielles.
Les relations causales émergent d’expériences contrôlées. La recherche d’une relation de cause à effet nécessite une étude où, entre autres, les participants sont sélectionnés au hasard dans une population et sont affectés de manière aléatoire à des conditions de test. Une affectation aléatoire garantit que chaque groupe de participants est identique ou similaire à tous égards, à l’exception des conditions dans lesquelles chaque groupe est testé. Ainsi, les différences qui apparaissent sont plus probablement dues aux (causées par) les conditions de test qu’à des circonstances environnementales ou autres. Parfois, les participants sont répartis de manière équilibrée dans des groupes où les participants de chaque groupe sont sélectionnés de manière à ce que les groupes soient égaux en termes d’autres attributs pertinents. Par exemple, une expérience testant deux contrôleurs d’entrée pour les jeux pourrait assigner aléatoirement les participants aux groupes ou équilibrer les groupes pour s’assurer que la gamme d’expérience de jeu est approximativement égale.
Voici un exemple d’IHM similaire à l’exemple du tabagisme contre le cancer : Un chercheur souhaite comparer le multi-tap et la saisie prédictive (T9) pour la saisie de texte sur un téléphone mobile. Le chercheur s’aventure dans le monde et approche les utilisateurs de téléphones mobiles, leur demandant cinq minutes de leur temps. Beaucoup acceptent. Ils répondent à quelques questions sur leur expérience et leurs habitudes d’utilisation, notamment leur méthode préférée de saisie des messages texte. Quinze utilisateurs de multi-tap et 15 utilisateurs de T9 sont trouvés. Les utilisateurs sont invités à saisir une phrase de texte prescrite pendant qu’ils sont chronométrés. De retour au laboratoire, les données sont analysées. Il s’avère que les utilisateurs de T9 sont plus rapides : ils saisissent 18 mots par minute, contre 12 mots par minute pour les utilisateurs de multi-tap. C’est 50 % plus rapide pour les utilisateurs de T9 ! Quelle est la conclusion ? Il existe une relation entre la méthode de saisie et la vitesse de saisie du texte ; toutefois, cette relation est circonstancielle et non causale. Il est raisonnable de rapporter ce qui a été fait et ce qui a été trouvé, mais il est erroné de s’aventurer au-delà de ce que la méthodologie donne. Il serait faux de conclure de cette simple étude que le T9 est plus rapide que le multi-tap. En examinant les données de plus près, on s’aperçoit que les utilisateurs du T9 ont tendance à être plus férus de technologie : ils ont déclaré avoir beaucoup plus d’expérience dans l’utilisation des téléphones mobiles et ont également déclaré envoyer beaucoup plus de messages texte par jour que les utilisateurs du multi-tap qui, dans l’ensemble, ont déclaré ne pas aimer envoyer de messages texte et le faire très rarement.10 La différence observée peut donc être due à l’expérience antérieure et aux habitudes d’utilisation, plutôt qu’à des différences inhérentes aux méthodes de saisie de texte. Si l’on souhaite réellement déterminer si une méthode de saisie de texte est plus rapide qu’une autre, une expérience contrôlée est nécessaire. C’est le sujet du prochain chapitre.
Un dernier point mérite d’être mentionné. Les conclusions de cause à effet ne sont pas possibles dans certains types d’expériences contrôlées. Si la variable manipulée est un attribut naturel des participants, alors les conclusions de cause à effet ne sont pas fiables. Parmi les exemples d’attributs naturels, citons le sexe (féminin, masculin), la personnalité (extraverti, introverti), le fait d’être gaucher ou droitier, la langue maternelle (anglais, français, espagnol), le point de vue politique (gauche, droite), etc. Ces attributs sont des variables indépendantes légitimes, mais ils ne peuvent pas être manipulés, c’est-à-dire qu’ils ne peuvent pas être attribués aux participants. Dans ce cas, une conclusion de cause à effet n’est pas valable car il n’est pas possible d’éviter les variables confusionnelles (définies au chapitre 5). Le fait d’être un homme, d’être extraverti, d’être gaucher, etc. fait toujours apparaître d’autres attributs qui varient systématiquement selon les niveaux de la variable indépendante. Les conclusions de cause à effet ne sont pas fiables dans ces cas-là, car il n’est pas possible de savoir si l’effet expérimental est dû à la variable indépendante ou à la variable confusionnelle.