Zaïre
MobutuEdit
En 1965, comme en 1960, la répartition du pouvoir au Congo-Léopoldville (ancienne colonie belge) entre le président et le Parlement conduit à une impasse et menace la stabilité du pays. Joseph-Désiré Mobutu s’empare à nouveau du pouvoir. Contrairement à la première fois, cependant, Mobutu a assumé la présidence, au lieu de rester dans les coulisses. À partir de 1965, Mobutu domine la vie politique du pays, restructurant l’État à plus d’une occasion et revendiquant le titre de « Père de la nation ».
Lorsque, dans le cadre de la politique d’authenticité du début des années 1970, les Zaïrois furent obligés d’adopter des noms « authentiques », Mobutu abandonna Joseph-Désiré et changea officiellement son nom en Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga, ou, plus communément, Mobutu Sésé Seko, ce qui signifie grossièrement « le guerrier tout-conquérant, qui va de triomphe en triomphe ».
Dans une justification rétrospective de sa prise de pouvoir en 1965, Mobutu résumera plus tard le bilan de la Première République comme étant celui du « chaos, du désordre, de la négligence et de l’incompétence ». Le rejet de l’héritage de la Première République allait bien au-delà de la rhétorique. Au cours des deux premières années de son existence, le nouveau régime s’est attelé aux tâches urgentes de reconstruction et de consolidation politiques. La création d’une nouvelle base de légitimité pour l’État, sous la forme d’un parti unique, venait ensuite dans l’ordre de priorité de Mobutu.
Un troisième impératif était d’étendre la portée de l’État dans les domaines social et politique, un processus qui a débuté en 1970 et a culminé avec l’adoption d’une nouvelle constitution en 1977. En 1976, cependant, cet effort avait commencé à générer ses propres contradictions internes, ouvrant ainsi la voie à la résurrection d’un système Bula Matari ( » le briseur de rochers « ).
Modifications constitutionnellesModification
En 1967, Mobutu avait consolidé son pouvoir et procédé à doter le pays d’une nouvelle constitution et d’un parti unique. La nouvelle constitution a été soumise à un référendum populaire en juin 1967 et approuvée par 98 % des votants. Elle prévoyait la centralisation des pouvoirs exécutifs dans les mains du président, qui devait être chef de l’État, chef du gouvernement, commandant en chef des forces armées et de la police, et responsable de la politique étrangère.
Mais le changement le plus profond fut la création du Mouvement populaire de la révolution (MPR) le 17 avril 1967, marquant l’émergence de « la nation politiquement organisée ». Plutôt que les institutions gouvernementales soient l’émanation de l’État, l’État est désormais défini comme l’émanation du parti. Ainsi, en octobre 1967, les responsabilités du parti et de l’administration ont été fusionnées dans un cadre unique, étendant ainsi automatiquement le rôle du parti à tous les organes administratifs aux niveaux central et provincial, ainsi qu’aux syndicats, aux mouvements de jeunesse et aux organisations étudiantes.
Trois ans après avoir changé le nom du pays en Zaïre, Mobutu a promulgué une nouvelle constitution qui a consolidé son emprise sur le pays. Tous les cinq ans (sept ans après 1978), le MPR élit un président qui est simultanément désigné comme seul candidat à la présidence de la république ; il est confirmé dans ses fonctions par un référendum. Dans le cadre de ce système, Mobutu a été réélu en 1977 et 1984 par des marges invraisemblables, grâce à un vote unanime ou quasi unanime en faveur du « oui ». Le MPR était défini comme l' »institution unique » du pays, et son président était investi de la « plénitude de l’exercice du pouvoir ». Tous les cinq ans, une liste unique de candidats du MPR était renvoyée à l’Assemblée nationale, les chiffres officiels montrant un soutien quasi unanime. Tous les citoyens du Zaïre devenaient automatiquement membres du MPR à leur naissance. À toutes fins utiles, cela donnait au président du MPR-Mobutu-un contrôle politique complet sur le pays.
Extension totalitaireModifier
Transcrire le concept de « la nation politiquement organisée » dans la réalité impliquait une expansion majeure du contrôle de l’État sur la société civile. Cela signifiait, pour commencer, l’incorporation des groupes de jeunes et des organisations ouvrières dans la matrice du MPR. En juillet 1967, le Bureau politique annonce la création de la Jeunesse du Mouvement Populaire de la Révolution (JMPR), après le lancement un mois plus tôt de l’Union Nationale des Travailleurs Zaïrois (UNTZA), qui regroupe dans un cadre organisationnel unique trois syndicats préexistants.
Ostensiblement, l’objectif de la fusion, selon les termes du Manifeste de N’Sele, était de transformer le rôle des syndicats pour qu’ils ne soient plus « une simple force de confrontation » mais « un organe de soutien à la politique gouvernementale », fournissant ainsi « un lien de communication entre la classe ouvrière et l’État ». De même, la JMPR devait servir de lien majeur entre la population étudiante et l’État. En réalité, le gouvernement tente de contrôler les secteurs où l’opposition au régime pourrait se concentrer. En nommant les principaux dirigeants syndicaux et de la jeunesse au Bureau politique du MPR, le régime espérait mettre les forces syndicales et étudiantes au service de l’État. Néanmoins, comme l’ont souligné de nombreux observateurs, il n’y a guère de preuves que la cooptation ait réussi à mobiliser le soutien au régime au-delà du niveau le plus superficiel.
La tendance à la cooptation de secteurs sociaux clés s’est poursuivie au cours des années suivantes. Les associations de femmes ont fini par passer sous le contrôle du parti, tout comme la presse, et en décembre 1971, Mobutu a procédé à l’émasculation du pouvoir des églises. Dès lors, seules trois églises furent reconnues : l’Église du Christ au Zaïre (Church of Christ in Zaire), l’Église kimbanguiste et l’Église catholique romaine.
La nationalisation des universités de Kinshasa et de Kisangani, associée à l’insistance de Mobutu à bannir tous les noms chrétiens et à créer des sections JMPR dans tous les séminaires, ne tarda pas à mettre en conflit l’Église catholique romaine et l’État. Ce n’est qu’en 1975, et après une pression considérable du Vatican, que le régime a accepté de modérer ses attaques contre l’Église catholique romaine et de lui rendre une partie de son contrôle sur le système scolaire. Entre-temps, conformément à une loi de décembre 1971, qui permettait à l’État de dissoudre « toute église ou secte qui compromet ou menace de compromettre l’ordre public », des dizaines de sectes religieuses non reconnues ont été dissoutes et leurs dirigeants emprisonnés.
Mobutu a également pris soin de supprimer toutes les institutions susceptibles de mobiliser les loyautés ethniques. Avouant son opposition à l’ethnicité comme base d’alignement politique, il a mis hors la loi des associations ethniques telles que l’Association des Lulua Frères, qui avait été organisée au Kasaï en 1953 en réaction à l’influence politique et économique croissante au Kasaï du peuple rival des Luba, et Liboke lya Bangala (littéralement, « un faisceau de Bangala »), une association formée dans les années 1950 pour représenter les intérêts des locuteurs du lingala dans les grandes villes. Le fait que son affiliation ethnique soit brouillée dans l’esprit du public a aidé Mobutu. Néanmoins, à mesure que le mécontentement se manifestait, les tensions ethniques refaisaient surface.
Centralisation du pouvoirEdit
Parallèlement aux efforts de l’État pour contrôler toutes les sources autonomes de pouvoir, d’importantes réformes administratives ont été introduites en 1967 et 1973 pour renforcer la main des autorités centrales dans les provinces. L’objectif central de la réforme de 1967 était d’abolir les gouvernements provinciaux et de les remplacer par des fonctionnaires d’État nommés par Kinshasa. Le principe de centralisation a ensuite été étendu aux districts et aux territoires, chacun dirigé par des administrateurs nommés par le gouvernement central.
Les seules unités de gouvernement qui conservaient encore une bonne dose d’autonomie – mais pas pour longtemps – étaient les collectivités dites locales, c’est-à-dire les chefferies et les secteurs (ces derniers incorporant plusieurs chefferies). Le système étatique unitaire et centralisé ainsi légiféré ressemblait étrangement à son antécédent colonial, à ceci près qu’à partir de juillet 1972, les provinces furent appelées régions.
Avec la réforme de janvier 1973, un autre pas important fut franchi dans le sens d’une centralisation accrue. Il s’agissait, en substance, d’opérer une fusion complète des hiérarchies politique et administrative en faisant du chef de chaque unité administrative le président du comité local du parti. En outre, une autre conséquence de la réforme a été de réduire sévèrement le pouvoir des autorités traditionnelles au niveau local. Les prétentions héréditaires à l’autorité ne sont plus reconnues ; au lieu de cela, tous les chefs doivent être nommés et contrôlés par l’État via la hiérarchie administrative. À ce moment-là, le processus de centralisation avait théoriquement éliminé tous les centres préexistants d’autonomie locale.
L’analogie avec l’État colonial devient encore plus convaincante lorsqu’elle est couplée à l’introduction en 1973 du « travail civique obligatoire » (connu localement sous le nom de Salongo d’après le terme lingala pour travail), sous la forme d’un après-midi par semaine de travail obligatoire sur des projets agricoles et de développement. Officiellement décrit comme une tentative révolutionnaire de retour aux valeurs de communautarisme et de solidarité inhérentes à la société traditionnelle, le Salongo devait mobiliser la population dans l’accomplissement d’un travail collectif « avec enthousiasme et sans contrainte ».
En réalité, le manque ostensible d’enthousiasme populaire pour le Salongo a entraîné une résistance généralisée et une traînée de pieds (ce qui a poussé de nombreux administrateurs locaux à détourner le regard), tandis que le non-respect de cette obligation était passible de peines d’un mois à six mois de prison. Le travail « volontaire » n’était qu’un travail forcé et, à la fin des années 1970, la plupart des Zaïrois se soustrayaient à leurs obligations en matière de Salongo. En ressuscitant l’une des caractéristiques les plus amèrement ressenties de l’État colonial, le travail civique obligatoire a contribué de manière non négligeable à l’érosion de la légitimité subie par l’État mobutiste.
Conflit croissantModification
En 1977 et 1978, les rebelles katangais basés en Angola ont lancé deux invasions – Shaba I et Shaba II – dans la province du Katanga (rebaptisée » Shaba » en 1972). Les rebelles sont chassés avec l’aide militaire du bloc occidental et de la Chine, notamment du Safari Club.
Durant les années 1980, le Zaïre reste un État à parti unique. Bien que Mobutu ait réussi à maintenir le contrôle pendant cette période, les partis d’opposition, plus particulièrement l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), étaient actifs. Les tentatives de Mobutu pour réprimer ces groupes ont suscité d’importantes critiques internationales.
Alors que la guerre froide touchait à sa fin, les pressions internes et externes sur Mobutu ont augmenté. À la fin de l’année 1989 et au début de l’année 1990, Mobutu était affaibli par une série de protestations intérieures, par l’intensification des critiques internationales sur les pratiques de son régime en matière de droits de l’homme, par une économie chancelante et par la corruption du gouvernement, plus particulièrement par son détournement massif de fonds gouvernementaux à des fins personnelles. En juin 1989, Mobutu se rend à Washington, où il est le premier chef d’État africain à être invité à une réunion d’État avec le président américain nouvellement élu, George H. W. Bush.
En mai 1990, Mobutu accepte le principe d’un système multipartite avec des élections et une constitution. Les détails d’un paquet de réformes ayant été retardés, les soldats ont commencé à piller Kinshasa en septembre 1991 pour protester contre leurs salaires impayés. Deux mille soldats français et belges, dont certains ont été transportés par des avions de l’armée de l’air américaine, sont arrivés pour évacuer les 20 000 ressortissants étrangers en danger à Kinshasa.
En 1992, après de précédentes tentatives similaires, la Conférence nationale souveraine promise de longue date a été organisée, englobant plus de 2 000 représentants de divers partis politiques. La conférence se donne un mandat législatif et élit l’archevêque Laurent Monsengwo Pasinya comme président, ainsi qu’Étienne Tshisekedi wa Mulumba, leader de l’UDPS, comme premier ministre. À la fin de l’année, Mobutu avait créé un gouvernement rival avec son propre premier ministre. L’impasse qui s’ensuit aboutit à un compromis de fusion des deux gouvernements au sein du Haut Conseil de la République-Parlement de Transition (HCR-PT) en 1994, avec Mobutu comme chef d’État et Kengo wa Dondo comme premier ministre. Bien que des élections présidentielles et législatives aient été programmées à plusieurs reprises au cours des 2 années suivantes, elles n’ont jamais eu lieu.
Première guerre du Congo et disparitionModification
En 1996, les tensions de la guerre civile rwandaise voisine et le génocide avaient débordé sur le Zaïre (voir Histoire du Rwanda). Les forces de la milice hutue rwandaise (Interahamwe), qui avaient fui le Rwanda après l’ascension d’un gouvernement dirigé par le FPR, avaient utilisé les camps de réfugiés hutus dans l’est du Zaïre comme bases d’incursion contre le Rwanda. Ces milices hutues se sont rapidement alliées aux forces armées zaïroises (FAZ) pour lancer une campagne contre les Tutsis congolais de l’est du Zaïre, connus sous le nom de Banyamulenge. À leur tour, ces Tutsis zaïrois ont formé une milice pour se défendre contre les attaques. Lorsque le gouvernement zaïrois a commencé à intensifier ses massacres en novembre 1996, les milices tutsies ont fait irruption dans la rébellion contre Mobutu, déclenchant ce qui sera connu comme la première guerre du Congo.
La milice tutsi a rapidement été rejointe par divers groupes d’opposition et soutenue par plusieurs pays, dont le Rwanda et l’Ouganda. Cette coalition, dirigée par Laurent-Désiré Kabila, est devenue connue sous le nom d’Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo-Zaïre (AFDL). L’AFDL, qui avait désormais pour objectif plus large de chasser Mobutu, a réalisé d’importants progrès militaires au début de l’année 1997 et, à la mi-1997, elle avait presque entièrement envahi le pays. La seule chose qui semblait ralentir les forces de l’AFDL était l’infrastructure délabrée du pays ; des chemins de terre et des ports fluviaux utilisés de façon irrégulière étaient tout ce qui reliait certaines régions au monde extérieur. Après l’échec des pourparlers de paix entre Mobutu et Kabila, Mobutu s’est exilé au Maroc le 17 mai. Kabila s’est autoproclamé président, a consolidé le pouvoir autour de lui-même et de l’AFDL, et a marché sans opposition sur Kinshasa trois jours plus tard. Le 21 mai, Kabila a officiellement rétabli le nom du pays, qui est devenu la République démocratique du Congo.