Pierre Ier

(1672-1725), connu sous le nom de Pierre le Grand, tsar et empereur de Russie, 1682-1725.

Le règne de Pierre Ier est généralement considéré comme un tournant dans l’histoire russe, au cours duquel la Russie s’est étendue vers l’ouest, est devenue un acteur de premier plan dans les affaires européennes, et a connu des réformes majeures de son gouvernement, de son économie, de ses affaires religieuses et de sa culture. Pierre est considéré comme un « modernisateur » ou un « occidentaliste », qui a imposé des changements à ses sujets souvent réticents. En 1846, l’historien russe Nikolaï Pogodine écrivait : « La Russie d’aujourd’hui, c’est-à-dire la Russie européenne, diplomatique, politique, militaire, commerciale, industrielle, scolaire, littéraire, est la création de Pierre le Grand. Partout où nous regardons, nous rencontrons cette figure colossale, qui jette une longue ombre sur tout notre passé. » Les écrivains d’avant et d’après s’accordent à dire que Pierre a marqué le cours de l’histoire russe, bien qu’il y ait toujours eu des désaccords sur le caractère positif ou négatif de son influence.

Enfance et jeunesse

Fils unique du second mariage du tsar Alexeï Mikhailovitch de Russie (r. 1645-1676) avec Nathalie Kirillovna Naryshkina, Pierre succède à son demi-frère le tsar Fiodor Alexeïevitch (1676-1682) en mai 1682. En juin, à la suite de la rébellion sanglante des mousquetaires de Moscou, au cours de laquelle des membres de la famille de sa mère et des représentants du gouvernement furent massacrés, il fut couronné second tsar conjointement avec son demi-frère aîné, mais gravement handicapé, Ivan V. Tenu à l’écart du gouvernement pendant la régence de sa demi-sœur Sophia Alexeyevna (r. 1682-1689), Pierre a poursuivi des intérêts personnels qui ont plus tard alimenté ses activités publiques ; il a notamment rencontré des étrangers, appris à faire de la voile et formé des troupes « ludiques » sous le commandement d’officiers étrangers, qui sont devenues les gardes Preobrazhensky et Semenovsky. À la mort du tsar Ivan en 1696, Pierre se retrouve seul maître du royaume et remporte sa première victoire militaire, la capture de la forteresse turque d’Azov, un succès facilité par la création d’une nouvelle flotte sur le Don. De 1697 à 1698, il effectue une tournée sans précédent en Europe occidentale avec la Grande Ambassade, dont le but officiel est de relancer la Sainte Ligue contre les Ottomans, dans laquelle la Russie était entrée en 1686. Pierre voyage incognito, consacrant une grande partie de son temps à la visite de sites et d’institutions majeurs dans sa quête de connaissances. Il est particulièrement impressionné par la République néerlandaise et l’Angleterre, où il étudie la construction navale. À son retour, il oblige ses boyards à se raser la barbe et à adopter le costume occidental. En 1700, il abandonne l’ancien calendrier de la création byzantin et adopte la méthode occidentale de datation des années à partir de la naissance du Christ. Ces actes symboliques fixent l’agenda du changement culturel.

La grande guerre du Nord, 1700-1721

Après avoir fait la paix avec l’Empire ottoman en 1700, Pierre déclare la guerre à la Suède dans le but de reprendre pied sur la Baltique, en alliance avec le Danemark et le roi Auguste II de Pologne. Après quelques défaites initiales, notamment à Narva en 1700, et la perte de ses alliés, la Russie finit par prendre le dessus sur les Suédois. Après Narva, le roi Charles XII abandonna sa campagne russe pour poursuivre Auguste en Pologne et en Saxe, permettant à la Russie de progresser en Ingrie et en Livonie. Lorsqu’il finit par envahir la Russie via l’Ukraine en 1707-1708, Charles trouva ses troupes surdimensionnées, insuffisamment approvisionnées, et confrontées à une armée russe bien meilleure. La victoire à Poltava, en Ukraine, en 1709, permet à Pierre de lancer un assaut réussi contre les ports de la Baltique orientale de la Suède, notamment Viborg, Riga et Reval (Tallinn) en 1710. La défaite des Turcs sur la rivière Pruth en 1711 l’oblige à rendre Azov (ratifié par le traité d’Adrianople de 1713), mais ne l’empêche pas de poursuivre la guerre suédoise à la fois à la table des négociations et en campagne, par exemple en Finlande en 1713-1714 et contre les possessions restantes de la Suède en Allemagne du Nord et sur le continent suédois. Le traité de Nystadt (1721) ratifie la possession russe de la Livonie, de l’Estonie et de l’Ingrie. Au cours des célébrations, le Sénat décerne à Pierre les titres d’Empereur, de Grand et de Père de la Patrie. En 1722-1723, Pierre mène une campagne contre la Perse sur la Caspienne, capturant les ports de Bakou et de Derbent. Les succès militaires de la Russie ont été obtenus principalement grâce à un recrutement intensif, qui a permis à Pierre de maintenir des armées sur le terrain pendant plusieurs décennies, à l’entraînement par des officiers étrangers, à la production nationale d’armes, notamment d’artillerie, et à un approvisionnement bien organisé. La tâche est facilitée par la disponibilité d’une population paysanne servile et par les obstacles que le terrain et le climat russes

posent aux envahisseurs suédois. La marine, composée principalement d’officiers étrangers sur des navires construits ou achetés dans le pays, fournit une force auxiliaire dans les dernières phases de la guerre du Nord, bien que l’implication personnelle de Pierre dans les affaires navales ait conduit certains historiens à exagérer l’importance de la flotte. La flotte de galères était particulièrement efficace, comme illustré à Hango en 1714.

Réformes domestiques

De nombreux historiens ont affirmé que les exigences de la guerre étaient le moteur de toutes les réformes de Pierre. Il créa le Sénat en 1711, par exemple, pour gouverner en son absence pendant la campagne turque. Parmi les dix nouveaux départements gouvernementaux d’inspiration suédoise, créés entre 1717 et 1720 et connus sous le nom de collèges ou de conseils collégiaux, les collèges de la guerre, de l’amirauté et des affaires étrangères consommaient la majeure partie des revenus de l’État, tandis que les collèges des mines et de la fabrication se concentraient sur la production pour l’effort de guerre, en exploitant des usines sidérurgiques et en fabriquant des armes, des cordes, des toiles, des uniformes, de la poudre et d’autres produits. L’État reste le principal producteur et client, mais Peter tente d’encourager l’entreprise individuelle en offrant des subventions et des exemptions. Cependant, la main-d’œuvre libre manque et, en 1721, les industriels sont autorisés à acheter des serfs pour leurs usines. De nouvelles institutions provinciales, basées sur des modèles suédois et créées dans le cadre de plusieurs programmes de restructuration, notamment en 1708-1709 et en 1718-1719, étaient destinées à rationaliser le recrutement et la collecte des impôts, mais elles furent parmi les projets les moins réussis de Pierre. Comme il le disait, l’argent était « l’artère de la guerre ». Un certain nombre de mesures fiscales fragmentaires ont culminé en 1724 avec l’introduction de la taxe d’habitation (initialement 74 kopecks par an), qui remplaçait l’impôt direct basé sur les ménages par une évaluation des individus de sexe masculin. Pierre encourage également le commerce extérieur et diversifie les impôts indirects, qui sont attachés à des articles et services tels que le papier officiel pour les contrats, les bains privés, les cercueils en chêne et les barbes (l’impôt sur la barbe de 1705). Les droits sur les alcools, les douanes et le sel étaient rentables.

La Table des grades (1722) consolidait la législation antérieure en divisant l’élite des services – officiers de l’armée et de la marine, fonctionnaires du gouvernement et des tribunaux – en trois colonnes de quatorze grades, chacune contenant un nombre variable de postes. Aucun poste n’est censé être attribué à un candidat qui n’est pas qualifié pour les tâches à accomplir, mais la naissance et le mariage continuent de conférer des privilèges à la cour. La Table avait pour but d’encourager la noblesse existante à être plus efficace, tout en soutenant le concept des nobles en tant que leaders naturels de la société : Tout roturier qui atteignait le rang militaire le plus bas – grade 14 – ou le grade civil 8 se voyait accorder le statut de noble, y compris le droit de le transmettre à ses enfants.

Les réformes éducatives de Pierre, elles aussi, avaient une visée utilitaire, tout comme son programme d’édition, qui portait sur des sujets tels que la construction navale, la navigation, l’architecture, la guerre, la géographie et l’histoire. Il a introduit un nouvel alphabet simplifié, appelé écriture civile, pour l’impression d’ouvrages profanes. La plus connue et la plus réussie des écoles techniques de Pierre était l’école de mathématiques et de navigation de Moscou (1701 ; à partir de 1715, l’Académie navale de Saint-Pétersbourg), dirigée par des enseignants britanniques. Ses diplômés sont envoyés enseigner dans les écoles dites de chiffrage ou d’arithmétique (1714), mais celles-ci n’attirent pas d’élèves. Les prêtres et les écoles confessionnelles restent les principaux fournisseurs de l’enseignement primaire, et les livres religieux continuent de se vendre mieux que les livres profanes. L’Académie des sciences est généralement considérée comme la plus grande réalisation, bien qu’elle n’ait ouvert ses portes qu’en 1726 et qu’au départ, son personnel était entièrement composé d’étrangers. En Russie, comme ailleurs, les enfants des communautés rurales, où le travail des enfants était vital pour l’économie, restaient sans éducation.

L’église

Le désir de déployer des ressources rares aussi rationnellement que possible a guidé le traitement de l’Église orthodoxe par Pierre. Il a aboli le patriarcat, laissé vacant à la mort du dernier patriarche en 1700, et l’a remplacé en 1721 par le Saint Synode, fondé sur le principe collégial et supervisé plus tard par un fonctionnaire séculier, le surprocurateur. La raison d’être et le programme du Synode sont énoncés dans le Règlement spirituel (1721). Pierre siphonne les fonds de l’Église selon les besoins, mais il ne va pas jusqu’à séculariser les terres de l’Église. Il réduit la prêtrise en redéployant les ecclésiastiques superflus au service de l’État et en limitant l’entrée dans les monastères, qu’il considère comme des refuges pour les fainéants. Les ecclésiastiques restants accumulent diverses tâches civiques, telles que la tenue des registres des naissances et des décès, la gestion des écoles et des hôpitaux et la publication des décrets gouvernementaux. Ces mesures s’inscrivent dans la tendance du XVIIe siècle à réduire le pouvoir indépendant de l’Église, mais Pierre va plus loin en réduisant son rôle dans la vie culturelle. Lui-même un chrétien orthodoxe consciencieux qui allait régulièrement à l’église, il était heureux que l’Église prenne la responsabilité de sauver les âmes des hommes, mais pas qu’elle dirige leur vie. Ses réformes étaient soutenues par des ecclésiastiques éduqués importés d’Ukraine.

Saint-Pétersbourg et la nouvelle culture

La ville de Saint-Pétersbourg a commencé comme un fort insulaire à l’embouchure de la Neva sur des terres capturées aux Suédois en 1703. À partir de 1712 environ, elle a été considérée comme la capitale. Dans la lutte de la Russie pour la reconnaissance internationale, Saint-Pétersbourg était bien plus qu’une base navale et un port utiles. C’était une feuille blanche sur laquelle Pierre pouvait construire un microcosme de sa Nouvelle Russie. La conception et la décoration occidentales des palais, des bâtiments gouvernementaux et des églises, construits en pierre par des architectes étrangers engagés selon un plan rationnel, ainsi que la mode européenne que tous les habitants russes étaient obligés de porter, étaient calculées pour donner aux étrangers le sentiment d’être en Europe plutôt qu’en Asie. La ville devint une « grande fenêtre récemment ouverte au nord par laquelle la Russie regarde l’Europe » (Francesco Algarotti, 1739). Pierre s’y réfère souvent comme à son « paradis », jouant sur les associations avec Saint Pierre et exprimant son plaisir personnel dans une ville construite sur l’eau. Les espaces publics centraux bénéficient d’équipements tels que l’éclairage et le pavage des rues, et le bien-être public est supervisé par le chef de la police, bien que les conditions soient moins salubres dans les ruelles. Les nobles n’apprécient pas d’être déracinés de Moscou pour s’installer sur ce glorieux chantier. Les femmes de la noblesse ne sont pas épargnées. Elles sont arrachées à la vie protégée qu’elles menaient jusqu’alors dans les quartiers féminins semi-classés ou terem et on leur ordonne d’abandonner leurs modestes robes amples et leurs voiles au profit de robes occidentales décolletées et de corsets, et de fréquenter les hommes et de boire avec eux. Certains historiens ont parlé d' »émancipation » des femmes sous Pierre, mais il est douteux que ce soit l’avis des personnes concernées.

Vision et méthodes de Pierre

Pierre était un souverain absolu, dont la grande taille (six pieds sept pouces) et le tempérament explosif devaient intimider ses proches. Ses portraits, les premières images russes complètement occidentalisées peintes ou sculptées d’après nature, étaient agrémentés de motifs romains impériaux, allégoriques, militaires et navals pour souligner son pouvoir. Pourtant, il cherchait à détourner la loyauté de ses sujets de lui-même vers l’État, les exhortant à travailler pour le bien commun. Homme d’action plutôt que de réflexion, il n’avait ni l’éducation formelle ni la patience de théoriser. Les historiens soviétiques ont privilégié l’image du tsar charpentier, mettant l’accent sur les quatorze métiers que Pierre maîtrisait, dont ses préférés étaient la construction navale et le tournage du bois. Il pratiquait aussi occasionnellement la dentisterie et la chirurgie. Ironiquement, Pierre se comportait souvent d’une manière qui confirmait les préjugés étrangers selon lesquels la Russie était un pays barbare. À l’étranger, il offensait fréquemment ses hôtes par ses manières épouvantables, tandis que les visiteurs occidentaux de la Russie étaient perplexes devant sa cour, qui mettait en scène des nains, des géants et des « monstres » humains (issus de son Cabinet de curiosités), des séances de beuverie obligatoires, que des gardes armés empêchaient les invités de quitter, et des cérémonies bizarres mises en scène par l' »Assemblée des fous, des bouffons et des ivrognes » qui, dirigée par le prince-pape, parodiait les rituels religieux. Tout au long de sa vie, Pierre a entretenu une cour fictive dirigée par un faux tsar connu sous le nom de prince César, qui conférait des promotions à « Pierre Mikhailov » ou « Pierre Alexeyev », comme Pierre aimait à être appelé en gravissant les échelons de l’armée et de la marine.

L’une des fonctions des institutions fictives de Pierre était de ridiculiser les anciennes méthodes. Pierre déplorait constamment la réticence de ses sujets à s’améliorer de leur propre initiative. Comme il l’écrit dans un édit de 1721 visant à remplacer les faucilles par des faux plus efficaces :  » Même si une chose est bonne, si elle est nouvelle, notre peuple ne la fera pas.  » Il a donc eu recours à la force. En Russie, où le servage n’a été légiféré qu’en 1649, l’idée d’une population servile n’est pas nouvelle, mais sous Pierre, la servitude s’étend et s’intensifie. L’armée et la marine engloutissent des dizaines de milliers d’hommes. Les paysans de l’État sont de plus en plus réquisitionnés pour travailler sur de grands projets. Des personnes auparavant libres sont transférées au statut de serfs lors de l’introduction de l’impôt électoral. Pierre croit également au pouvoir des règles, des règlements et des statuts, élaborés « afin que chacun connaisse ses devoirs et que personne ne s’excuse par ignorance ». En 1720, par exemple, il publie le Règlement général, un « règlement des règlements » pour le nouvel appareil gouvernemental. Non seulement les paysans, mais aussi les nobles, trouvaient la vie pénible. Ils étaient obligés de servir à vie et d’éduquer leurs fils pour le service.

associés et opposants

Malgré ses méthodes dures, Pierre était soutenu par un certain nombre d’hommes, issus de l’ancienne élite moscovite et de l’extérieur. Les plus éminents de ces nouveaux venus étaient son favori, le talentueux et corrompu Alexandre Menshikov (1673-1729), dont il fit un prince, et Paul Yaguzhinsky, qui devint le premier procureur général. Parmi les hommes de tête de l’élite traditionnelle figurent le général Boris Sheremetev, le chancelier Gavrila Golovkin, l’amiral Fyodor Apraksin et le prince Fyodor Romodanovsky. Le publiciste en chef était l’ecclésiastique ukrainien Feofan Prokopovitch. C’est une idée fausse que Pierre s’est appuyé sur les étrangers et les roturiers.

Les traditionalistes religieux abhorraient Pierre, l’identifiant comme l’Antéchrist. Les plusieurs révoltes de son règne comprenaient toutes certains éléments d’antagonisme envers les étrangers et les innovations étrangères telles que le rasage et la tenue occidentale, ainsi que des plaintes plus standard et substantielles concernant l’empiètement de l’autorité centrale, les impôts élevés, les mauvaises conditions de service et de rémunération. Les plus graves ont été la révolte des mousquetaires de 1698, la révolte d’Astrakhan de 1705 et la rébellion menée par le cosaque du Don Ivan Bulavin en 1707-1708. La perturbation qui inquiète le plus Pierre, cependant, touche son cercle intime. Pierre s’est marié deux fois : en 1689 avec la noble Yevdokia Lopukhina, qu’il a bannie dans un couvent en 1699, et en 1712 avec Catherine, une ancienne servante de Livonie qu’il a rencontrée vers 1703. Il prépare le fils survivant de son premier mariage, Alexei Petrovich (1690-1718), comme son successeur, mais ils ont une relation difficile. En 1716, Alexei s’enfuit à l’étranger. Attiré en Russie en 1718, il est jugé et condamné à mort pour trahison, sur la base d’accusations infondées de complot visant à assassiner son père. De nombreux associés d’Alexei ont été exécutés, et des personnes des cercles dirigeants ont été soupçonnées de sympathie à son égard. Pierre et Catherine eurent au moins dix enfants (le nombre exact est inconnu), mais seules deux filles atteignirent la maturité : Anna et Elisabeth (qui régna en tant qu’impératrice de 1741 à 1761). En 1722, Pierre publia une nouvelle loi de succession selon laquelle le monarque régnant désignait son propre successeur, mais il n’a pas enregistré son choix avant sa mort (due à une infection de la vessie) en février (janvier O.S.) 1725. Immédiatement après la mort de Pierre, Menshikov et certains courtisans de premier plan, avec le soutien des gardes, ont soutenu la veuve de Pierre, qui a régné sous le nom de Catherine Ier (1725-1727).

Visions de Pierre et de ses réformes

L’opinion officielle du XVIIIe siècle et d’une grande partie du XIXe était que Pierre avait « donné naissance » à la Russie, la transformant de la « non-existence » en « être ». Les poètes le représentaient comme un dieu. L’homme et ses méthodes ont été facilement intégrés dans les discours de l’absolutisme éclairé du XVIIIe siècle. Cependant, même du vivant de Pierre, des questions ont été soulevées quant au coût élevé de ses projets et aux dangers de l’abandon de la culture et des institutions locales. Comme l’historien russe Nikolai Karamzin l’a commenté en 1810 : « En vérité, Saint-Pétersbourg est fondée sur des larmes et des cadavres. » Il pensait que Pierre avait fait des Russes des citoyens du monde, mais les empêchait d’être des Russes. La haine de Saint-Pétersbourg comme symbole de traditions étrangères était un élément important de l’attitude des slavophiles du XIXe siècle, qui pensaient que seuls les paysans avaient conservé les valeurs culturelles russes. Pour leurs opposants occidentalistes, cependant, les réformes de Pierre, qui n’allaient pas jusqu’aux libertés occidentales, n’étaient pas allées assez loin. À la fin du XIXe siècle, des études sérieuses sur la Moscovie du XVIIe siècle ont remis en question la nature révolutionnaire du règne de Pierre, soulignant que nombre de ses réformes et politiques, telles que l’embauche d’étrangers, la réforme de l’armée et l’emprunt de la culture occidentale, provenaient de ses prédécesseurs. Les derniers tsars, en particulier Nicolas II, ont adopté une vision nostalgique de la Russie pré-Pétrin, mais les valeurs pétriniennes ont été vénérées par la cour impériale jusqu’à sa disparition.

Les historiens soviétiques ont généralement adopté une vision bipolaire du règne de Pierre. D’une part, ils pensaient que la Russie devait rattraper l’Occident, quel qu’en soit le coût ; ils considéraient donc les réformes institutionnelles et culturelles, la nouvelle armée, la marine, les usines, etc. comme « progressistes. » L’expansion territoriale était approuvée. D’autre part, les historiens soviétiques étaient tenus de dénoncer l’exploitation de la paysannerie par Pierre et de faire l’éloge des rebelles populaires tels que Bulavin ; de plus, sous Staline, le cosmopolitisme de Pierre était traité avec suspicion. Les historiens de la culture, en particulier, ont mis l’accent sur les réalisations autochtones plutôt que sur les emprunts étrangers. Dans les années 1980-1990, certains ont commencé à adopter un point de vue plus négatif encore, caractérisant Peter comme « le créateur du système de commandement administratif et le véritable ancêtre de Staline » (Anisimov, 1993). Après l’effondrement de l’URSS, la sécession de certaines parties de l’ancien Empire et de l’Union, et le déclin des forces armées et de la marine, de nombreuses personnes se sont remémorées le règne de Pierre comme une époque où la Russie était forte et Pierre comme un exemple idéal de dirigeant fort. Le débat se poursuit.

Voir aussi : alexei petrovich ; catherine i ; elizabeth ; fyodor alexeyevich ; menshikov, alexander danilovich ; patriarcat ; paysannerie ; servage ; st. petersburg ; table des grades

bibliographie

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Lindsey Hughes

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